Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/50

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» Alors Callista haussa les épaules et fit, avec un ricanement sinistre :

» — Je vous dis que personne ne la reverra plus jamais !… »

» Sur quoi elles se turent. Sitôt que l’on n’entendit plus rien sur le chemin je bondis dans la grotte tout à fait déserte. L’ourson lui-même n’y était plus… Il faisait nuit noire là-dedans… mais j’avais apporté ma petite lanterne sourde et je me livrai à une perquisition minutieuse à laquelle je n’avais pas eu le temps de procéder lors de ma première visite, ayant été dérangé par un certain bruit venu du dehors.

» Comme je l’avais deviné, Callista avait emporté ses vêtements… Ce que je cherchais, c’étaient moins des objets que la trace du drame peut-être mortel qui s’était passé là !… Les dernières paroles que j’avais entendues dans la bouche de Callista m’avaient rempli le cœur d’épouvante. Tout était possible avec une femme comme celle-là. « Votre Rouletabille, pas plus que mon Jean, ne reverront jamais cette Odette ! »

» Je n’eus pas de peine, hélas ! à trouver autour de moi les traces d’une lutte, d’une résistance certaine, et même désespérée et qui, tout à coup, avait cessé !… Enfin, près du foyer, comme j’étais à quatre pattes, ma main trempa dans une petite flaque sombre et miroitante au feu de ma lumière !… du sang… et dans ce sang, un couteau… Ils avaient tué Odette !…

» Ah ! à ce moment, je ne pus retenir un cri de rage et un gros sanglot souleva ma poitrine…

» Et puis, tout à coup, j’éclatai de rire, d’un rire sauvage, insensé !… Ce que j’avais pris pour du sang, c’était de l’encre !

» Et je découvris encore près d’un escabeau renversé, un encrier brisé, une vieille plume en miettes… Maintenant, je comprenais certains silences de Callista succédant à certaines questions de la Pieuvre… et je fus inondé d’allégresse… Non ! non ! rien n’était perdu… Il n’y avait pas de sang par terre et il n’y avait que de l’encre sur le couteau !… Et s’ils avaient dû tuer Odette, c’est là qu’ils l’auraient frappée !… puisqu’ils avaient tout ce qu’il leur fallait pour cela : le couteau et le silence !

» Ah ! la courageuse petite Odette ! qu’avait-on voulu lui faire écrire ? lui faire signer ?… Mais il n’y avait de sang nulle part !… Ce n’était donc pas un cadavre que l’on avait transporté dans la roulotte, dont j’ai retrouvé les traces non loin de la grotte, et qui a rejoint la route d’Arles aux Saintes-Maries où cette trace se perd avec celles de cent autres roulottes retournant aux quatre coins du monde ! Ai-je bien fait, ai-je mal fait de ne pas donner alors l’éveil aux magistrats pour que l’on pourchassât tous les bohémiens revenant des Saintes-Maries ? Qui dira jamais les affres d’une pareille responsabilité ?… Mais n’était-ce point avertir les fuyards que leur crime était découvert alors qu’il fallait surtout les surprendre !… Avec leur astuce millénaire, ils avaient cent tours dans leurs sacs avant de nous livrer Odette ! ne devais-je point considérer que le coup avait été fait quelques heures avant notre arrivée à Lavardens et que ces misérables avaient eu tout le temps de prendre leurs précautions ? Non ! non ! j’avais eu raison de ne point me livrer à une poursuite des plus problématiques que les ravisseurs avaient certainement prévue ! C’était par Callista que je devais avoir Odette, s’il en était temps encore ! Et il en était encore temps, puisqu’elle était vivante !… Mais Callista a bien tout fait pour que la Pieuvre pût croire à sa mort ! Ah ! la Pieuvre ! »