Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/61

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— Commé dé juste ! vous parlé bienne !…

— Et vous, brigadier, vous avez dû apprendre à parler dans le Roussillon, si je ne m’abuse ?

— Mosieu lé notaire, on né peut rienne vous cacher !… Vous avez deviné !… jé suis né natif des environnes de Perpignan, pour vous servir !… Quant au secret professionnellé, je sais cé que c’est en tant que gendarmé !… et ce n’est pas moi qui vous demanderai jamais de trahir oune chozze qui a, si j’ose dire, ouné caractère sacré !

— Je vous dis cela, brigadier, parce que, il n’y a guère plus d’une heure, un jeune homme s’est présenté à mon bureau, qui m’a justement posé des questions qui ne tendaient à rien de moins qu’à me faire oublier mes devoirs !…

— Ah ! par exemple ! Un jeune homme ?

— Oui, qui se dit journaliste… un nommé Rouletabille.

— Rouletabillé ! Rouletabillé est venu ici et vous a posé des quessetionnes ?

— J’ose dire tout à fait indiscrètes…

— J’espéré bienne que vous l’avez f… à la porté !…

— À peu près, parce que vous savez, dans notre profession, on conserve toujours des formes… Ah ! c’est un garçon qui ne manque pas de toupet ! Il se prétend célèbre !… Moi je n’en ai jamais entendu parler…

— Vous ne lisez donqué jamais les journaux ?

— Le moins possible ! Voyez-vous, brigadier, ou il n’y a rien dedans ou il y a quelque chose… Quand il n’y a rien dedans, ça ne vaut pas la peine de les lire et, quand il y a quelque chose, c’est toujours des crimes ou des catastrophes, c’est-à-dire des choses désagréables qu’il est préférable d’ignorer le plus longtemps possible !… Mais vous, vous me paraissez le connaître, ce Roule… Rouletabille !…

— Ah ! mosieur lé notaire, si jé l’connais !… Mais c’est ouné plaie !… cé journalisté-là !… M. Crouzillat s’en méfie commé dé la pesté !… Et moi il né mé quitté pas !… Il épie toutes mes démarches !… Jé parie qu’il est venu pour vous parler de cette affaire dé Lavardensse !…

— Vous avez gagné, brigadier, mais lui, il a perdu… il a perdu son temps !

M. Crouzillat, quand jé lui raconterai cela, sera bien contenté !… Nous disions donc que M. de Lavardensse a contracté mariage ?…

— Tenez, fit le notaire en compulsant un dossier, voici un extrait de l’acte de mariage, déposé au consulat de France à Odessa… Vous n’avez qu’à copier…

Le gendarme ne se le fit pas répéter deux fois…

— C’est bienne cé qué l’on m’avait dit… Il s’est marié à Odessa à une jeuné Française dont il avait eu ouné pétité fillé qui a été légitimée par l’acté même du mariage…

— Attention ! nous touchons là au secret professionnel, brigadier… Je ne puis raisonnablement refuser à la justice de mon pays de prendre connaissance d’une pièce qu’il lui serait peut-être difficile de se procurer maintenant…

— Oui, c’été loinne Odessa ! et il y a les bolchevikis !…

— Mais vous comprendrez qu’il n’est pas nécessaire que tout le monde sache que Mlle de Lavardens est née avant le mariage de sa mère…

— Commé dé juste !… et ne craignez rien !… cé né pas moi qui irai lé dire à Rouletabillé !…

— Vous m’avez compris, brigadier !…

— Ce n’est pas pour me vanneter ! mais tout le mondé s’accorde à dire que je souis doué d’une assez belle intelligence. Maintenant… ouné choze encore !… l’extrait de l’acte dé naissance dé l’enfant, vous l’avez peut-être, hé ?…