Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/62

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— Mon Dieu, non, répondit Me Camousse en fronçant légèrement les sourcils et en refermant son dossier…

— Il n’est pas là dédans, hé ?…

— Il n’est pas là-dedans !…

— C’est dommage, car l’indicationne du lieu de naissance dé l’enfant commé vous avez dû le remarquère, est dé plus vagué sur l’acte dé légitimisationne !… et si nous avions cet extrait de l’acte dé naissance… peut-être qué…

— Que quoi ?… interrogea le notaire qui commençait à tapoter nerveusement le bois de son bureau…

— Eh mais !… peut-être qu’il nous serait facile alors dé faire tairé les mauvaises langues !…

— Quelles mauvaises langues ?…

— Eh ! mais celles qui prétendent, par exemple, que cette Française n’était pas la véritable mère dé la petite Odette !

— Monsieur, fit le notaire en se levant, je n’ai jamais entendu dire une pareille chose !… Et je serais curieux de savoir dans quelle bouche vous l’avez entendue…

— Eh ! dans la bouché dé quelqu’un qui est aussi courioux que vous, assurémente !… Dans la bouche dé lé juge d’instructionne elle-même, et jé souis chargé de vous demander par cet honorable magistratte (qui est persouadé, entre parentaizes, que vous savez tout à fait à quoi vous en tenir là-dessus) si Mlle dé Lavardensse est bien la fille de Mme de Lavardensse !…

M. le juge d’instruction ! s’exclama Me Camousse, qui était devenu cramoisi, vous a chargé de me demander cela, vous ?

— Je vous lé jouré sur mes galonnes !…

— Et moi je vous jure que si j’avais été M. Crousillat et si j’avais eu une pareille question à poser à Me Camousse, j’aurais fait venir Me Camousse à mon cabinet et j’aurais eu avec lui une conversation de magistrat à magistrat et je ne lui aurais pas envoyé un brigadier de gendarmerie… Du reste, j’y vais ! déclara le notaire en mettant son chapeau.

— Où allez-vous doncqué ?

— Mais je vous accompagne, je vais chez M. le juge d’instruction…

— Eh ! j’irai bienne tout seul !… ne vous dérangez pas ! Moun Dieu, commé vous vous monnettez !… comme vous vous monnettez ! ouné vraie soupe au lèt ! Moi je vous pose des questionnes, vous êtes libré dé ne pas répondre !… qué diable !… le secret professionnel avant toute !… Qu’il n’en soit plus parlé, jousté cielle !…

Mais le gendarme eut beau dire et beau faire, Me Camousse tint à le suivre jusque chez M. Crousillat… Il fut aussi vite que lui dans l’escalier… aussi vite que lui dans la rue !… Arrivé là, le brigadier consulta sa montre, un énorme oignon et déclara qu’il avait une course urgente à faire, qu’il laisserait Me Camousse aller chez le juge d’instruction tout seul… Et déjà il avait fait quelques pas rapides quand deux personnages en civil sortant d’on ne sait où se jetèrent sur le gendarme en s’écriant : « Pas de résistance et veuillez nous suivre !… »

— Mais qui êtes-vous donc ? cria le notaire aux deux civils.

— Nous sommes deux agents de la sûreté, Me Camousse, chargés d’arrêter Rouletabille…

— Comment ! ce… gendarme !…

— C’est Rouletabille !…

Me Camousse, suffoqué, dut s’appuyer à un mur pour ne pas glisser sur le pavé. On l’entendit qui murmurait :

— Voilà certainement le plus gros événement de ma vie !

Pendant ce temps, de toutes parts on accourait pour voir passer ce gendarme, prisonnier de ces deux civils…

Et Rouletabille faisait une tête !…