Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/7

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dont la vision l’avait comme cloué sur place.

— La Pieuvre ! murmura-t-il haletant… La Pieuvre ici ! Oh ! cela explique bien des choses !

Quand il eut surmonté son émotion, il ressortit dans le vestibule et appela Olajaï :

— Comment le studio se trouve-t-il dans cet état ? Ton maitre déménage donc ?

— Monsieur vient tout de suite, répondit l’autre sans plus, et il le laissa là.

Presque aussitôt, Rouletabille le rejoignit dans le bureau, lui tendait une main un peu fiévreuse, s’assurait lui-même de la fermeture des portes et lui demandait affectueusement ce qui l’amenait. Tant de tranquillité n’était qu’apparente. Santierne ne pouvait s’y tromper :

— Parlons d’abord de toi, lui dit-il, que se passe-t-il ici ? Je te demande pardon d’avoir forcé ta porte !

— Mon cher Jean, je vais te dire une chose que je voulais cacher à tout le monde et pour laquelle je te demande jusqu’à nouvel ordre le plus grand secret. Il se passe tout simplement ceci que Rouletabille vient d’être cambriolé !

— Toi, cambriolé !

— Moi !…

— J’espère que tu sais déjà par qui et pourquoi ?

— Je ne sais rien et je n’y comprends rien !…

— Rouletabille, fit Jean à voix basse, quand j’ai pénétré ici tout à l’heure, je me suis trouvé en face d’une femme que ma présence a semblé bien gêner…

— Oublie que tu as vu cette femme, fit le reporter d’une voix nette en regardant Santierne bien en face ! Il le faut !… Personne ne doit avoir vu cette femme chez moi !…

— Et moi, je regrette surtout de l’y avoir rencontrée ! réplique Jean d’une voix sourde…

— Pourquoi le regrettes-tu ?

— Pour toi !… Mme de Meyrens ici !… Tu sais comment on l’appelait, cette femme ?…

— Oui ! répondit le journaliste avec un sourire qui déplut à Jean. Elle m’a raconté ses malheurs !…

— Tu veux dire les malheurs des autres ! Nous l’appelions « la Pieuvre » !… Je suis assez ton ami, j’espère, pour te dire : Rouletabille, méfie-toi !… Partout où cette femme s’est montrée, il y a eu des désastres !… Elle n’a laissé derrière elle que le désespoir et la ruine… À Vienne, à Petersbourg, où toutes les portes lui étaient ouvertes, car elle avait des appuis officiels, elle passait pour être de la haute police… Depuis la guerre, elle avait disparu… Certains prétendaient même qu’elle avait été fusillée dans un fossé de Schlusselbourg… Et je la retrouve ici ! chez toi, comme chez elle ; dans ton intimité !… Écoute, Rouletabille, je savais que, depuis quelques mois, tu avais une intrigue, mais j’étais loin de me douter… Et cependant, maintenant que tu viens de m’apprendre qu’il t’est arrivé un malheur, je ne m’étonne plus de rien !

— À toi, personnellement, elle ne l’a jamais rien fait ?…

— Non ! parce qué du temps que j’étais attaché d’ambassade, l’ambassadeur m’avait dit : « Prenez garde ! » Du reste ses manières m’avaient toujours inquiété… Je n’aimais pas ses façons garçonnières, son regard où il y avait trop d’intelligence dans le moment qu’elle semblait vous séduire par le plus innocente familiarité.. Méfie-toi, te dis-je, et ne me raconte pas qu’elle te sert par sa connaissance du monde, de