Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/71

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Bartholasse aurait bien su vous en empêcher… C’était beaucoup plus simple de vous les prendre !… En vous empruntant votre bicyclette, j’étais sûr de les avoir derrière moi.

M. Crousillat n’insista pas. Il se retourna vers les prisonniers.

— Alors, ce sont ces vagabonds-là qui ont fait le coup !… Debout, la petite dame !…

Callista se leva docilement, sans émotion apparente.

— Vous savez, tous les deux, ce dont vous êtes accusés : d’avoir assassiné M. de Lavardens et enlevé sa demoiselle !… Et vous dites qu’ils ont avoué, la Finette ! Écrivez, greffier !

— Nous n’avons assassiné personne ! déclara froidement Callista…

— D’abord, reprit le juge, qui êtes-vous ?… Qu’est-ce que c’est que ces gens-là ? Des bohémiens, naturellement !…

— Monsieur peut vous répondre ! fit Callista, toujours aussi calme, en désignant Rouletabille… il me connaît…

Rouletabille s’avança vers elle, souleva la manche de sa blouse et découvrit sur son bras ambré le cercle d’or qu’elle lui avait montré un jour.

— Oui, je vous connais, fit-il, vous êtes celle qui porte au bras le signe de la vengeance… Vous avez dû avoir à vous venger de M. de Santierne et vous lui avez fait enlever sa fiancée !…

— Ah ça ! mais, qu’est-ce que tout cela veut dire ? s’écria M. Crousillat !… Vous connaissez cette femme-là ?

— Oh !… fit Callista avec un étrange sourire, M. Rouletabille et moi, nous sommes de vieux amis ! Il a souvent dîné chez moi !…

On dîne donc chez vous ? s’exclama le juge en faisant du regard le tour des vêtements misérables qui habillaient, si l’on peut dire, cette singulière beauté.

— Madame, fit Rouletabille, a une excellente cuisinière et habite un luxueux appartement dans un des quartiers les plus « chics » de Paris.

— Comment ! cette femme est Parisienne ?

— Non ! madame est bohémienne, mais grâce à M. Jean de Santierne, qui l’a sauvée un jour des brutalités de cet homme, son complice aujourd’hui, elle était devenue l’une des plus séduisantes Parisiennes que j’aie connues… Et je n’ai garde d’oublier l’hospitalité qui, il y a quelques jours encore, m’était offerte entre son amant, son ourson et son perroquet… et je regrette qu’elle ait quitté la capitale pour reprendre cette défroque… Mais, comme dit l’autre, on retourne toujours à ses premières amours ! Je n’y vois pour ma part aucun inconvénient, seulement elle va nous dire ce qu’elle a fait de Mlle de Lavardens !

— Jamais ! s’écria Callista sur un ton si sauvage que tous ceux qui étaient là en frissonnèrent.

— Madame, reprit Rouletabille, vous oubliez que l’on a assassiné M. de Lavardens.

— Nous ne sommes pour rien dans cet assassinat !

— Il vous plaît de le dire, intervint M. Crousillat qui avait assisté à tout ce colloque sans l’interrompre, car il l’instruisait singulièrement. Mais l’assassinat a été commis en même temps que l’enlèvement.

— Et il ne fera de doute pour personne, argumenta Rouletabille, que vous avez tué M. de Lavardens parce qu’il était accouru au secours de sa fille !… Vous vous prétendez innocents de ce crime-là ! Eh bien ! cette innocence, il n’y a qu’une personne au monde qui puisse l’établir, c’est Mlle de Lavardens.

— Voilà qui est clair comme le jour, appuya M. Crousillat. Si vous ne nous rendez pas Mlle de Lavardens, c’est que vous avez assassiné son père !

— As-tu compris, toi, l’homme ! conclut Rouletabille en s’avançant sur Andréa… Mlle de Lavardens ou la mort !… pour tous les deux !

Andréa ne décroisa même pas les bras. Il regarda Rouletabille par-dessus son épaule, désigna d’un mouvement de tête Callista et dit :

— Mais moi, je ne demande qu’à mourir avec elle !