Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/73

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M. Bartholasse, maté, trempa sa plume dans l’encre d’un geste si brusque qu’il faillit renverser l’écritoire.

Mlle Odette de Lavardens, dicta le reporter, ayant été transportée quasi évanouie dans l’antre d’une vieille sorcière cigaine nommée Zina, je me rendis près d’elle… (C’est madame qui parle, expliqua Rouletabille, et si je me trompe, elle aura la bonté de m’avertir.) Mon complice Andréa était avec moi.

» Aussitôt qu’elle nous eut aperçus, Mlle de Lavardens se prit à trembler, car cet homme qui l’avait enlevée, emportée dans ses bras et en qui elle reconnaissait un tondeur de chiens qui lui avait parlé la veille à la grille du Viei Castou Nou, cet homme l’épouvantait !… Je fis signe à Andréa de sortir et je restai seule avec Mlle de Lavardens. »

Au fur et à mesure que Rouletabille avançait dans son récit, Callista, qui avait d’abord affecté de l’écouter avec mépris, le considérait maintenant avec une sorte d’effroi.

« Seule avec Mlle de Lavardens, continuait le reporter, car pour moi la vieille Zina était une chose qui ne comptait pas… moins qu’une domestique, une esclave…

» — Qui êtes-vous ? Que me voulez-vous ? me demanda Mlle de Lavardens d’une voix agonisante…

» Je lui répondis que je pouvais devenir son amie et la sauver si elle voulait bien m’écouter !… J’ajoutai qu’elle courait les plus grands dangers, que des gens qui n’avaient reculé devant rien pour s’assurer de sa personne n’hésiteraient point à se débarrasser d’elle d’une façon définitive… si elle les y contraignait… Elle ne répondit d’abord à mes propos que par une sorte de gémissement : « Mon Dieu ! dois-je mourir ici ?… » tandis que son pauvre regard faisait le tour de cette horrible demeure sur les parois de laquelle la vieille Zina avait cloué des chouettes et des chauves-souris… Un hibou était perché au-dessus de l’âtre et un ourson ne cessait de se dandiner dans un coin. Je la persuadai que je la sortirais de cet enfer… Elle finit par laisser ses mains brûlantes de fièvre entre les miennes, car, pour lui inspirer confiance, je m’étais servie des mots les plus doux. Elle me dit en frissonnant :

» — Tout cela n’est rien ; mais il y a les rats, la nuit !… »

Callista, de plus en plus effarée, recula brusquement sa chaise de Rouletabille et toute blême murmura :

— C’est le Baka ! (le diable).

Meria schaia ! (ma sœur) intervint d’une voix sourde Andréa.

Et il lui bredouilla rapidement quelques paroles cigaines qui semblèrent réconforter la bohémienne ; mais, ne voulant point perdre son avantage, le reporter reprit avec autorité son récit, en faisant un signe péremptoire à M. Bartholasse.

« Je demandai à Mlle de Lavardens si elle se connaissait des ennemis… Elle me répondit que non.

» — Eh bien, vous en avez une terrible, elle s’appelle Callista !

» Je n’eus pas plutôt prononcé ce nom que Mlle de Lavardens se cacha la tête dans les mains et se prit à sangloter… Alors je résolus de frapper un grand coup…

» — Elle avait décidé d’abord de vous faire mourir, lui dis-je ; mais j’ai pu la fléchir ; seulement c’est à condition : c’est que vous allez faire tout ce que je vais vous dire…

» Elle me regarda, anxieuse, à travers ses larmes.