Aller au contenu

Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/74

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

» — Vous allez écrire ce que je vais vous dicter !

» J’avais apporté des feuilles de papier à lettre, acheté à Arles, et je lui glissai une planchette sur les genoux… » Tout ceci est-il exact ? demanda Rouletabille en ne cessant de fixer Callista.

— Sorcier ! lui jeta la prisonnière en reculant encore sa chaise…

— Greffier, écrivez que l’inculpée a traité le nommé Rouletabille de sorcier, ce qui est un aveu !…

» Sur cette planchette, Zina déposa un sordide encrier dont l’encre avait été renouvelée récemment… et je dictai à Mlle de Lavardens :

» Jean, je ne t’aime pas ! Je sais maintenant que Callista est ta maîtresse. J’ai préféré fuir que t’épouser. Adieu, tu ne me reverras jamais ! »

— Est-ce bien le texte ? insista Rouletabille.

Callista ne lui répondit que par l’éclat froid de son regard.

— Je continue, puisqu’il n’y a pas de protestation… « Mlle de Lavardens, qui, jusqu’à ce moment, paraissait à demi morte et incapable du moindre effort, n’avait pas plutôt entendu ce que j’exigeais d’elle qu’elle se redressait d’un bond, renversant l’écritoire, brisant la plume et m’inondant les pieds d’encre ! »

— Montrez vos pieds !… s’écriait le reporter, montrez vos pieds, madame !… Le peuple de la Route ne se lave pas les pieds tous les jours !… et si vous avez emmené votre ourson, vous avez dû laisser votre pédicure à Paris !… Non ! vous ne voulez pas montrer vos pieds ! Greffier, écrivez !… écrivez que madame refuse de montrer ses pieds au nommé Rouletabille, ce qui est encore un aveu… Je continue : « Mlle de Lavardens, après cet éclat, me déclara toute frémissante qu’elle n’écrirait jamais un mot qui pût faire croire à M. de Santierne qu’elle ne l’aimait pas !… « J’aimerais mieux qu’on me coupe la main ! » et j’ai répondu textuellement en sortant un couteau : « Eh bien, ma petite, on te la coupera ! » Niez-vous les paroles ? Niez-vous le couteau ?… Non ! car les paroles ont été prononcées textuellement, et quant au couteau, le voici !…

Et Rouletabille, jetant un couteau à manche de corne sur la table du juge d’instruction, précisa :

— Vous l’avez acheté le 23 au soir chez Bonnafous, aux Saintes-Maries…

— C’était pour lui faire peur ! laissa entendre Callista haletante comme une bête traquée et qui ne peut concevoir d’où ni comment lui vient l’attaque.

— Peut-être !… Peut-être que si elle avait signé, vous ne l’eussiez point tuée !

— Ils l’ont donc tuée ! s’écria le juge qui semblait n’être plus là qu’un spectateur passant par toutes les angoisses du drame que l’on évoquait devant lui.

— Non !… mais elle a voulu la tuer !…

— Ça n’est pas vrai !…

— Vous dites que ça n’est pas vrai ?… Voici ce qui s’est passé exactement… Voyant l’attitude décidée de Mlle de Lavardens, vous lui avez dit : « Callista, c’est moi… Ton fiancé, c’est mon amant !… Tu vas choisir !… ou tu ne sortiras pas d’ici vivante ou tu renonceras à Jean !… » Il s’en est suivi une scène farouche… d’où, en effet, Mlle de Lavardens ne serait pas sortie vivante si…

— Si ?… interrogea le juge.

— Si, à ce moment, il ne s’était passé quelque chose d’étrange…