Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/83

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Rouletabille sortit un billet de son portefeuille et le donna au père Tavan, qui se confondit en remerciements et disparut…

— Ta police est bien faite, dit Jean… mais où veux-tu en venir avec Hubert ?… Il est sûrement parti sur les traces d’Odette… Le laisserons-nous la rejoindre avant nous ?

Ce disant il ne tenait pas en place et toute l’impassibilité de Rouletabille ne faisait, comme toujours, que l’exaspérer. L’autre ralluma sa pipe :

— Tu dis qu’il est sûrement sur les traces d’Odette… mais je n’en suis pas aussi sûr que cela ! Nous en reparlerons ce soir… en attendant, rentrons !…

— Où ?

— Au Viei Castou Nou… Maintenant nous ne gênons plus Hubert !… s’il nous avait su près de lui il ne serait jamais parti.

— Pourquoi ?

— Dans la crainte que nous le suivions !…

— Donc, tu le crois complice ?

— Je te dis que je n’en sais rien.

Ce soir-là, à l’heure du dîner, Rouletabille pénétrait dans la villa d’Hubert par un chemin qui lui était coutumier… Il avait attendu vainement que les domestiques quittassent lou Cabanou ; au contraire, profitant de l’absence du maître et sans doute pour fêter sa libération, ils y donnaient, à la valetaille des environs, un repas de gala. « Quand le chat n’est pas là les souris dansent »… Rouletabille, quoi qu’en pensât Jean de Santierne, était pressé… pressé de savoir ce qu’il lui importait de connaître… Malgré le bruit de fête qui lui venait de l’office, il risqua le coup et fut assez heureux de se retrouver dans le cabinet d’Hubert sans avoir dérangé les gens dans leur ripaille.

Près du bureau d’Hubert, un journal, parmi beaucoup d’autres, gisait froissé… Rouletabille le ramassa… Il était plein du drame de Lavardens et il y lut ces lignes qui terminaient une dépêche expédiée d’Arles par un correspondant :

« Ces deux bohémiens n’ont fait aucune difficulté pour avouer qu’ils étaient les auteurs de l’enlèvement de Mlle Odette de Lavardens, mais ils se refusent farouchement à indiquer l’endroit où la malheureuse jeune fille peut être séquestrée… Callista déclare qu’elle se venge ainsi de la soi-disant trahison de son amant, M. J. de S… »

Rouletabille rejeta le journal et courut au secrétaire, regarda sur la tablette… Le Livre des Ancêtres avait disparu !

Aussitôt il poussa un profond soupir, une joie intense sembla illuminer tout son être, et c’est sans prendre de précautions qu’il effectua sa sortie de la maison… tant est que cette sortie ne passa point inaperçue et que les domestiques, en poussant des cris, se mirent à courir derrière lui.

Il avait de l’avance. Il sauta le mur, mais cette fois, il jouait de malchance. Une main l’agrippait :

— Où diable courez-vous ?

C’était l’énorme M. Crousillat qui se reposait de ses travaux exceptionnels en pêchant à la ligne.

— Après Hubert !

— Ah ! ça, mais il est donc coupable ?

— Non, mais il le sera !…

Et d’un bond il reprenait sa course, rentrait par un détour au Viei Castou Nou, se heurtait cette fois à Jean :

— Mon cher, lui disait-il… non seulement Hubert n’est pas coupable, ce dont j’étais sûr, mais il n’est même pas complice, comme je le craignais… Ah ! cela simplifie singulièrement notre besogne… Heureusement, le livre a parlé !…

— Quel livre ?

— C’est vrai ! tu ne sais pas ! Ce serait trop long à te raconter !… Je t’expliquerai cela plus tard !…

— Et maintenant, où cours-tu si vite ?

— Réfléchir !…