Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/82

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

darmes ne verront point Odette de Lavardens, ils verront une gitane qui peut-être leur sourira !…

» — Mais c’est plus épouvantable que tout, ce que tu me dis là !… je ne reverrai donc jamais Odette !…

» — Si ! tu la reverras !… Seulement, vois-tu, Jean, il faut me laisser faire !…

L’après-midi de ce jour, Jean n’avait tout de même pas lâché Rouletabille, car nous retrouvons les deux jeunes gens à Arles, se glissant derrière Hubert dont ils avaient épié tous les pas et démarches depuis sa sortie de prison… Hubert s’était d’abord rencontré avec lou Rousso Fiamo qui semblait l’attendre et avec lequel il eut une longue conversation dans un cabaret non loin du forum. Rouletabille put entendre les derniers mots qu’Hubert adressa à son ancien guardian avant de le quitter : « Je compte bien sur toi ! » et l’autre lui avait fait signe que c’était une chose entendue… Le jeune homme s’était rendu ensuite chez plusieurs dépositaires de journaux où il s’était muni des principales feuilles qui avaient paru depuis son arrestation.

Lesté de ce paquet, il reprit immédiatement le chemin de Lavardens, arriva devant lou Cabanou, sauta par-dessus le petit mur dans sa hâte de rentrer chez lui et s’en fut s’enfermer dans son bureau…

Déjà Rouletabille avait cessé de le suivre.

— Viens ! avait-il fait à Jean, il ne faut pas déranger ce garçon dans la lecture des journaux.

— Il est de fait, dit Jean, qu’ils ont pour lui un attrait bien immédiat !…

— Un bon point pour lui ! déclara Rouletabille.

— Pourquoi un bon point ?…

— Dame ! du moment qu’il est si curieux de savoir ce qui s’est passé concernant Odette, pendant qu’il était en prison, je puis imaginer qu’il l’ignore… et s’il l’ignore, il y a des chances pour qu’il ne soit pas complice !…

— C’est étrange comme tu es porté à innocenter ce garçon-là ! exprima Jean…

— Oh ! pas si vite ! Je te dirai définitivement ce que j’en pense avant ce soir…

En devisant de la sorte, Rouletabille avait fait entrer Jean dans un petit bistro à deux pas de la gare d’Arles-Trinquet. Il sortit sa blague à tabac de sa poche :

— Et maintenant, nous pouvons fumer une bonne pipe !…

— Mais qu’est-ce que nous attendons ici ?

— Des nouvelles d’Hubert !…

Deux heures plus tard, ils en attendaient encore… Rouletabille, après sa troisième pipe, s’était tranquillement endormi. Quant à Jean, il était sorti trois fois, et trois fois il était revenu. Son impatience et son exaspération étaient à leur comble… Enfin une silhouette se montra dans la poussière de la route. Rouletabille ouvrit immédiatement les yeux comme si son instinct l’avait averti que ce qu’il attendait arrivait.

Le père Tavan était devant lui.

Le reporter lui fit signe qu’il pouvait s’expliquer devant Jean.

— Eh bien, fit le père Tavan, il est parti !

— Raconte-moi tout en détail.

— Ça ne sera point long. Il n’est pas resté plus d’une couple d’heures chez lui. Son domestique est sorti et est revenu avec une petite auto et est rentré pour l’avertir ; alors j’ai vu notre homme réapparaître avec un havresac où il avait dû mettre des effets, il a sauté dans l’auto et a démarré en vitesse.

— Tu n’as pas questionné le domestique ?

— Que si !… Si dans huit jours notre homme n’est pas revenu, ils doivent mettre la clef sur la porte et la donner à lou Rousso Fiamo.

— C’est tout ?

— C’est tout.