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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/94

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l’autre bout de la rue, la silhouette de Mme de Meyrens réapparut et sembla attendre que le charreton fût passé devant elle.

À ce moment, Jean vit distinctement que Mme de Meyrens adressait la parole à l’ouvrier et que l’ouvrier lui répondait, sans s’arrêter.

Puis le charreton tourna la rue et Mme de Meyrens le suivit.

Quand elle eut disparu, Jean se précipita à nouveau dans la prison et demanda à voir immédiatement le fonctionnaire qui remplaçait M. le directeur en son absence.

— Dites qu’il s’agit d’événements graves…

Il était persuadé que tout ce qu’il venait de voir avait rapport à l’évasion préparée d’Andréa et de Callista et il n’était nullement certain qu’avant de s’éloigner pour leur petite partie de campagne, M. Crousillat et M. le directeur eussent tout fait pour parer à une telle éventualité. Il les trouvait bien imprudents, après leur découverte de la veille, de ne penser qu’à se distraire, en laissant derrière eux, libre d’agir en toute liberté, une Mme de Meyrens qui avait, certes, plus d’un tour dans son sac.

Un quart d’heure plus tard, il ressortait de la maison pénitentiaire et courait à l’Hôtel du Forum où il demandait Rouletabille. Celui-ci se présentait bientôt, l’air plutôt ennuyé.

— Tiens ! te voilà ! Qui t’a dit que j’étais ici ?…

— J’ai rencontré hier soir Mme de Meyrens se dirigeant vers cet hôtel et comme tu n’es pas rentré à Lavardens…

— C’est bon ! compris… Quoi de neuf ?

— D’abord, quittons l’hôtel.

— Si tu veux !… Va devant, je te suis !

— Non ! viens avec moi tout de suite… Mme de Meyrens est sortie ce matin de l’hôtel ; pourrais-tu me dire si elle y est rentrée ?

— À l’instant !

— Eh bien, je tiendrais à te parler avant que tu la revoies ! Ce que j’ai à te dire est très grave…

— Comme toujours !

— Non ! plus que toujours !

Rouletabille, assez intrigué, bien qu’il affectât de n’attacher aucune importance à ce qu’il appelait « les imaginations de Jean », suivit son ami sur la place… Jean lui fit raser le pied de l’hôtel, de façon qu’ils ne fussent pas aperçus des fenêtres.

— Que de précautions ! exprima Rouletabille en haussant les épaules.

— Tu me comprendras tout à l’heure.

Jean le conduisit au petit café dans lequel, la veille, il avait mangé le dîner de M. Crousillat. Ils étaient seuls dans la salle du fond et il attendait encore pour parler que le garçon eût apporté les croissants et le café au lait demandés. Rouletabille commençait à manifester une impatience grandissante.

— Mon cher, je vais d’abord te raconter ce qu’a fait hier soir ta Mme de Meyrens…

— Et c’est pour cela que tu fais tant de chichis ! sursauta Rouletabille… Mais je vais te le dire, moi, ce qu’elle a fait hier soir… elle est allée à la prison ; elle a demandé le directeur.

— Et après ?

— Et après ? continua Rouletabille, elle s’est présentée avec une feuille timbrée de la préfecture l’autorisant, comme anthropologiste, à visiter les prisons des Bouches-du-Rhône !…

— Elle t’a dit tout cela ?