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SUR MON CHEMIN

blanche où jaillit l’eau sacrée. Un peuple pieux vient y puiser. Et, comme aux temps bibliques, des femmes s’éloignent dans la poussière blonde des allées, portant, de leur geste recourbé, une urne sur l’épaule.

Ces gens ne se dérangent de leur chemin et de leur pensée que pour vous dire : « Français », d’une voix si douce qu’on en pleure.

Et c’est une stupéfaction de savoir qu’ils nous reconnaissent, après leur Dieu et après leur tsar.

Certains sont venus à nous à l’heure du repas ; ils ont entouré, de loin, nos tables, que la générosité anonyme de nos amis avait encombrées de fruits. Nous leur avons fait le signe d’approcher. Les mères nous ont tendu en souriant leurs enfants, et nous avons chargé leurs petites mains de grappes vermeilles. Quand nous partîmes, ils nous firent un adieu triste et timide. Quand nous fûmes loin sur la route, on les entendit crier encore : « Vive la France ! »

Les bruyants vivats du retour, même les fleurs offertes par des jeunes filles, à une station proche de Moscou, ni les Marseillaise chantées par des soldats à notre passage, rien ne pourra nous faire oublier cet adieu-là.

Et c’est à ce peuple que je songe du haut de la tour d’Ivan le grand, en face de Moscou la sainte, à ce peuple de la ville et de la campagne, à ce peuple éternellement prosterné devant la guipure d’or de ses icônes, peuple loin de nous de mille ans et que le tsar a fait notre frère.