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SUR MON CHEMIN

pris malgré moi cet aspect de gravité un peu morose qui semblait de mise ce jour-là, quand un domino du bleu le plus tendre me frôla avec une intention évidente. Je continuai mon chemin, ce qui est une tactique qui en vaut une autre. Elle réussit. Le domino me rejoignit et me refrôla. Puis, comme je ne disais rien, à cause de mon émotion, une voix de femme se fit entendre sous les dentelles du capuchon.

— Offrez-moi un verre, beau jeune homme.

Quand on me parle doucement je ne sais rien refuser. Cette voix était suave. Cette femme avait soif. Elle eût pu s’exprimer avec plus de distinction, mais c’était apparemment une dame du plus grand monde, qui ne tenait pas à ce que je reconnusse le langage particulier au faubourg Saint-Germain. J’offris mon bras et nous étions assis bientôt devant deux coupes de champagne. Je fis des grâces et, comme ma belle mystérieuse était hermétiquement fermée à mes regards, je lui proposai, avec un léger battement de cœur, d’enlever son loup.

— Et puis quoi encore ? me répondit-elle, très vexée.

Elle n’enleva point son loup. Elle buvait avec des précautions extraordinaires. Elle enveloppait sa coupe dans une dentelle qui lui tombait du sommet de la tête et je devinais bien qu’elle buvait, derrière toutes ses frusques, car que vouliez-vous qu’elle fît avec sa coupe si elle ne buvait pas ? mais je ne la voyais point.