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LEURS MOTS DE LA FIN

tibles d’inspirer à la société des pensers tellement sombres qu’on crut prudent d’en interdire la publication.

On nous représente Lucheni souriant et cyniquement joyeux, plastronnant, faisant des mots, haussant les épaules et se moquant de tout le monde. Par cela, il tient bien de ses prédécesseurs dans cet effroyable chemin du crime anarchiste, qui aboutit le plus souvent à la guillotine. Il savait, lui, qu’il n’avait point à redouter le couperet. Peut-être en fut-il plus gai. J’en doute, car tous ceux qui devaient payer, de leur tête, l’attentat, exhibèrent devant leurs juges une gaieté que le ministère public n’hésita point à qualifier « du plus mauvais goût ».

Ils eurent tous une attitude bien personnelle et comprenaient l’anarchie d’une façon qui leur était spéciale. Ils avaient leur originalité dans le crime. Ravachol avait l’anarchie populo. Il tuait pour les pauvres. Vaillant avait l’anarchie politique. Il en voulait aux députés. Léauthier ne pouvait supporter les gens décorés. La vue d’un ruban rouge produisait sur sa rétine le même désastreux effet qu’une cape sur les taureaux des corridas de muerte. Caserio et Lucheni s’en prenaient aux chefs de l’État, leur attribuant une importance qu’ils ont perdue depuis longtemps. Lucheni a crié : « À bas l’aristocratie ! » Il retarde. Le seul vraiment anarchiste fut Émile Henry, qui fit sauter des bourgeois uniquement coupables de prendre leur café et d’entendre de