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ÇA NE MORD PAS

Ça ne mord pas. Qu’y puis-je ? Je m’en console et ne me décourage point pour si peu. Voilà cinq années que je pêche en ce pays, et cinq années que ça ne mord pas. On dit pourtant qu’il y a beaucoup de poisson à Villiers-sur-Morin. On dit même qu’on en prend. Ce doit être un bien curieux spectacle. J’ai rarement eu l’heur d’y assister. C’est peut-être que, n’aimant point exclusivement la pêche pour la friture, mes yeux sont occupés ailleurs : par exemple, ce qui est plaisant et ne fatigue guère, à voir s’allonger l’ombre des peupliers, quand descend le soir, ou s’éclairer, dans la courte plaine, les chignons d’or des petites futaies, quand monte le matin. Ce pays est délicat et plein de charmes. Tout y est petit. Les coteaux ne sont pas plus hauts que ça, et, si l’on traverse la vallée, on est bientôt au bout de sa course. La rivière coule son ruban d’argent de moulins en moulins qui paraissent des bibelots, et le pont rustique qui joint ses rives est un délicieux jouet d’enfant. Les bois qui les ombragent ont tout de suite dix arbres. Mais ce sont des arbres très vieux et très respectables, devrais arbres de la vraie campagne, sous lesquels je m’attarde à voir glisser les modèles aux bandeaux bruns et aux profils pâles que nous amènent ici les bons peintres et les bons sculpteurs de Montmartre. Ces demoiselles sont chétives et jolies, avec de longues robes blanches sans ceinture qu’elles traînent à petits pas négligents, et elles viennent se regarder dans le miroir immobile de