Page:Leroux - Sur mon chemin.djvu/326

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
312
SUR MON CHEMIN

l’eau. Puis elles disparaissent sous les arbres aux troncs droits, comme dans les compositions vastes de Puvis. Elles sont suivies de bons artistes qui fument leurs bouffardes.

Le bon sculpteur Desbois, à la barbe de fleuve et à la carrure de mathurin, est un compagnon de ces rivages. Il a des mains énormes quand on songe à ce qu’elles ont fait, et vous savez les étains qui sont sortis de là. C’est un enragé pêcheur avec le bon peintre Grenier, son ami, qui est bien l’homme le plus aimable du monde. Grenier a le droit de jeter l’épervier. C’est une occasion de voir du poisson, et je les ai suivis plus d’une fois, à l’heure où le soleil sera bientôt couché, respectueux des règlements, Grenier portant son épervier, Desbois brinqueballant son seau pour le butin, et moi ne portant rien du tout. C’est beau de voir lancer l’épervier. La moitié en est rejetée sur l’épaule, comme un manteau de drame romantique. Et tout d’un coup, dans un unique élan vers la rivière, l’épervier part au bout des bras tendus, fait la roue, se déploie immense, en éventail, et disparaît dans un brusque clapotis. D’un effort rythmé des bras, Grenier tire à lui l’engin ; les balles de plomb, les poches raclent le fond de l’eau. Alors il sort de là quelque chose d’immonde et de vaseux où luisent des éclairs d’argent, et nous revenons une demi-heure plus tard, et je suis plein d’orgueil de leur butin, sous le silence ami de la lune qui se lève.

Grenier faillit y rester deux fois, car l’exercice