Page:Leroux - Sur mon chemin.djvu/40

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
26
SUR MON CHEMIN

devait plus avoir faim depuis longtemps, et nous nous en fûmes vers la Butte. Il me confia encore qu’il était fiancé à Thylda, une jeune Suédoise qui l’attendait avec impatience à Stockholm, et que son père, avant le mariage, exigeait « qu’il jetât sa gourme ».

— Ou peut-on mieux la jeter qu’à Montmartre ? ajouta-t-il, ce pendant que nous montions une rue à pente rapide, au haut de laquelle tournaient les bras rouges du Moulin. Je me le demande.

Je me le demandais aussi et j’entrevoyais déjà les plus folles orgies, quand Otto, qui décidément a le sens très développé de l’actualité, mit la conversation sur un terrain tout à fait nouveau pour moi. Je n’entends goutte à la musique et il s’obstina à me parler « opéra » toute la nuit, sous le prétexte qu’il avait assisté, la veille, à la première de Louise et qu’il avait failli en faire une maladie.

— Monsieur, me dit-il, je n’ai point trouvé Paris tel que mon père me l’a dépeint. Il s’en faut de beaucoup et je suis le premier à reconnaître que Metella a vieilli. Certes, Metella est en pleine décadence. Eh bien, la décadence de Metella n’est rien auprès de celle de l’Opéra-Comique. J’y fus hier, et je me demande encore ce qui vous a pris pour faire de la musique autour de gens qui sont aussi mal habillés. Je ne m’explique pas que vous ayez perdu à ce point le sens de l’art et que vous fassiez jouer les violons pour voir défiler des loques. Il ferait beau voir, monsieur, qu’on ap-