Page:Leroux - Une histoire épouvantable, paru dans l'Excelsior du 29 janvier au 3 février 1911.djvu/18

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mais je ne le voyais pas ! Sa voix résonnait à mes côtés, et il n’y avait personne près de moi, personne dans le salon !… La voix reprit :

» — Assieds-toi ! ma femme va venir, car elle va se rappeler qu’elle m’a oublié sur la cheminée…

» Je levai la tête… et alors je découvris, tout en haut… tout en haut d’une haute cheminée, un buste.

» C’était ce buste qui parlait. Il ressemblait à Gérard. C’était le buste de Gérard. Il était placé là comme on a accoutumé de placer des bustes sur des cheminées… C’était un buste comme en font les sculpteurs, c’est-à-dire sans bras.

» Le buste me dit :

» — Je ne peux pas te serrer dans mes bras, mon vieux Michel, car, comme tu le vois, je n’en ai plus, mais tu peux me prendre, en te haussant un peu, dans les tiens, et me descendre sur la table. Ma femme m’avait posé là, dans un mouvement d’humeur, parce que, disait-elle, je la gênais pour nettoyer le salon… Elle est rigolote, ma femme !

» Et le buste éclata de rire.

» Je crus encore être victime de quelque illusion d’optique, comme il arrive dans les foires où l’on voit ainsi, grâce à un jeu de glaces, des bustes bien vivants qui ne sont attachés à rien ; mais je dus, après avoir déposé mon ami sur la table, comme il me le demandait, constater que cette tête et ce tronc sans jambes et sans bras étaient bien tout ce qui restait de l’admirable officier que j’avais connu autrefois. Le tronc reposait directement sur un petit chariot