Page:Leroy-Beaulieu, Essai sur la répartition des richesses, 1881.djvu/19

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térité merveilleuse, ce n’est pas contestable. Que par cette spécialisation à outrance on parvienne à une multiplication indéfinie et à un bon marché inouï de certains produits, personne ne s’aviserait de le nier. Mais que devient l’intelligence, la liberté, en un mot la personne humaine dans cette organisation du travail qui condamne un homme à faire pendant des dizaines d’années le même détail infime d’un produit vulgaire ? Cette division excessive du travail, est-ce qu’elle ne crée pas l’asservissement en même temps que la dégradation de l’ouvrier, est-ce qu’elle n’amène pas les crises et les chômages ? Les excès de production si fréquents dans l’industrie moderne, d’où viennent-ils si ce n’est de la division extravagante du travail qui enlève toute idée de mesure, toute prévision des exigences de la consommation ? La division du travail et les machines, voilà à la fois les deux grands facteurs du progrès de la production et les deux auteurs responsables de l’avilissement et de l’instabilité de la situation de l’ouvrier. Quand par l’entraînement qui est inhérent aux machines et à la division du travail il se manifeste un encombrement dans une industrie quelconque et que celle-ci ferme ses ateliers, que devient « le travailleur parcellaire » ? À quoi est-il bon ? Quelle autre occupation peut-il prendre pour soutenir sa vie ? Il est aussi inutile, aussi incapable de rendre un service que le serait une machine à filer, séparée de tous ses engrenages et de sa force motrice. Ce n’est plus qu’un outil qui ne correspond à aucun besoin. Cependant cet outil humain, devenu hors d’usage, au moins pendant des semaines ou des mois, il faut qu’il vive de quoi vivra-t-il, si ce n’est de la charité publique ?

Pour répondre à ces objections des divers socialismes, invoquera-t-on l’association ? vantera-t-on les bienfaits de ce principe, les diverses applications dont il est susceptible ? Mais les socialistes, après un premier moment de ferveur, ont abandonné pour la plupart le culte de l’association volontaire et libre. Celle-ci ne serait qu’un leurre l’association, dans l’état de désorganisation de la société, ne profiterait qu’aux gros capitaux, aux « monopoles », comme dit Proudhon. Ce sont ces