Page:Leroy-Beaulieu, Essai sur la répartition des richesses, 1881.djvu/20

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capitaux qui accaparent non seulement la production proprement dite, mais les transports, mais le commerce de détail, qui refoulent de plus en plus les petits patrons, les ouvriers façonniers, les petits boutiquiers, tous les travailleurs autonomes et indépendants. C’est toute une race d’hommes libres qui disparaît. Le capital, agissant par grandes masses, supprime ou s’assujettit toutes les petites forces qui essayeraient en vain de se grouper : la lutte est trop inégale ; les avantages des gros capitaux sont trop grands dans toutes les transactions. L’association libre et volontaire, disent les trois socialismes, qu'a-t-elle produit depuis trois quarts de siècle si ce n’est de gigantesques monopoles et les monstrueux abus des sociétés anonymes, cette piraterie nouvelle, qui obtient en quelque sorte de la législation des lettres de marque pour détrousser légalement les passants ? Une sorte de brigandage toléré et patenté, à la faveur de nos lois sur les sociétés, voilà, selon le socialisme, le principal fruit de l’association libre et volontaire. Le jeu naturel et anarchique des lois économiques a rendu de plus en plus difficile la formation de l’épargne du pauvre, il en rend de plus en plus malaisés la conservation et l’emploi.

Il nous faudrait beaucoup d’espace si nous voulions exposer ici toutes les critiques d’un caractère plus ou moins déclamatoire, mais d’une forme saisissante, que soulève chaque jour, de la part des esprits inquiets, l’action naturelle des lois économiques sur la distribution des richesses. Les économistes depuis plus d’un siècle célèbrent, par exemple, les bienfaits de la liberté commerciale, ils y voient une mesure favorable au travailleur manuel, au consommateur qui est tout le monde, surtout au consommateur pauvre qui a besoin du bon marché des produits. Les socialistes des trois écoles que nous avons indiquées trouvent, au contraire, à la liberté commerciale un grand vice. Nul ne l’a mieux formulé qu’un célèbre prélat allemand, l’un des chefs du socialisme religieux, Mgr  de Ketteler ; plus véhément encore et plus saisissant que Proudhon, il s’écrie : Quel est l’effet de cette liberté commerciale entre les nations, si ce n’est de soumettre industriellement les différentes