Page:Leroy-Beaulieu, Essai sur la répartition des richesses, 1881.djvu/193

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des propriétaires n’est nullement l’origine. Le vignoble le plus fertile et produisant les vins les plus fins est bien loin d’atteindre le prix de vente des moindres terrains d’une grande ville. Dans les districts les plus écartés, ceux de la périphérie des capitales, 100 ou 300 francs le mètre, soit un ou deux millions l’hectare, mille fois la valeur d’une terre arable, sont les prix habituels des terrains. Au centre des villes on arrive à 1,000 francs, 1,500 francs, 1,800 francs, 2 ou 3,000 francs le mètre. Or, qu’a fait le propriétaire du terrain pour s’attribuer la totalité de cette valeur sociale, car c’est bien là une valeur sociale dans toute la force du mot, une valeur due à l’activité collective, à la prospérité collective ? Qu’a-t-il fait le propriétaire de terrains, si ce n’est attendre et s’abstenir de bâtir ? Mais cette attente et cette abstention, bien loin d’être un mérite comme pour l’épargne, sont uniquement des entraves au bien-être social. Pendant des dixaines d’années le spéculateur de terrains, bien ou mal guidé par ses calculs ou son instinct, a accaparé de vastes espaces et les a soustraits à la construction. Il a empêché de pauvres gens d’y élever des huttes ou de modestes maisons. Il a forcé l’ouvrier, le petit bourgeois à chercher un gîte dans des quartiers plus éloignés encore. Il les a privés des douceurs de la possession d’un jardin. Il a apporté des obstacles au peuplement continu de la ville. Voilà ce qu’a fait le propriétaire de terrains, car quel autre travail à signaler de sa part ? et c’est pour cette œuvre singulière qu’il obtient une rémunération énorme. Des fortunes colossales se sont faites de cette façon, simplement en dormant, après un acte d’accaparement du sol dans la périphérie d’une grande ville, seulement par la force d’inertie qui a soustrait pendant longtemps ces terrains aux constructions et qui a maintenu des îlots nus au milieu d’une ville grandissante. À New-York on a vu une famille, la famille Astor, gagner ainsi une fortune que l’on évalue à quelques centaines de millions de francs, uniquement parce que, New-York étant située dans une île, un ingénieux et prévoyant ancêtre des Astor actuels avait pris la précaution d’acheter presque tout le territoire non bâti de l’île. À Paris, de