Page:Leroyer de Chantepie - Chroniques et Légendes.djvu/53

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En même temps, ma mère nous quitta pour aller habiter une petite maison peu éloignée de la nôtre, car elle m’aimait trop pour passer un seul jour sans me voir. Les deux premières années de notre union furent assez heureuses, mais lorsque Azélie perdit l’espoir de devenir mère, elle se livra de nouveau à tous ses goûts de plaisir et de dissipation. Toujours la reine des bals et des fêtes, elle ne pouvait exister qu’au milieu des jouissances de la vanité. Dans les courts instants qu’elle passait près de moi, elle se montrait, dans son intérieur, irritable, ennuyée et chagrine. Je m’efforçais de conformer mes goûts aux siens ; mais il m’était impossible de voir sans jalousie, Azélie employer tous ses moyens de séductions à plaire à des étrangers, dont elle préférait la société à celle de son mari.

Cinq ans se passèrent au milieu d’un bonheur factice pour elle, tandis que ma jalousie me faisait souffrir d’inexprimables tourments.

Cependant cette pénible situation devait bientôt faire place à un malheur plus réel. Un Français, nommé le comte de Varennes, proche parent du gouverneur, arriva aux Colonies, et devint bientôt l’objet de l’amour de toutes les femmes et de la jalousie de tous les hommes. Il était beau, élégant, généreux et séduisant. Cependant, malgré les efforts que toutes les femmes faisaient pour lui plaire, aucune d’elles ne pouvait se flatter d’avoir fait sa conquête. Cet honneur était réservé à ma femme, qui parut heureuse du triomphe qu’elle venait de remporter sur ses rivales. Je ne vis d’abord dans ce succès que le plaisir causé par la vanité satisfaite. Mais je ne tardai pas à m’apercevoir que dans cette lutte de coquetterie d’une part et de séduction de l’autre, le cœur d’Azélie s’était sérieusement engagé. Trop fier pour me plaindre, mais incapable de supporter une rivalité quelconque, j’insultai le comte de Varennes, je le forçai à se battre ; je fus dan-