Page:Leroyer de Chantepie - Chroniques et Légendes.djvu/58

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l’horrible spectacle qui s’offrit à mes yeux. Cette femme, que j’avais tant aimée, était-là, morte, baignée dans son sang ; sa robe, les fleurs qui avaient couronné sa tête en étaient inondées. Près de là, mon poignard gisait, teint de son sang, comme un témoin accusateur ; tout révélait un crime, et prouvait que j’étais le seul criminel. Envoyant ce poignard, qu’on me présenta comme une preuve de conviction, je me rappelai ma fureur, l’accès de démence dont j’avais été saisi, le désir que j’avais eu de tuer Azélie, et je me demandai si je n’avais pas agi sous l’inspiration d’une folie furieuse, et si je n’étais pas en effet coupable du crime dont on m’accusait ? Ce doute était horrible, et pourtant une voix secrète me criait que j’étais innocent ; j’avais fui, je n’avais pas succombé à l’affreuse tentation qui me poussait à me faire justice moi-même, et je repoussai avec toute l’énergie de l’innocence l’accusation dont j’étais l’objet. Cependant, le désespoir, que me causait la mort d’Azélie, s’était emparé de mon âme et m’avait ôté jusqu’au sentiment de mon danger. Toute la tendresse que j’avais eue pour elle s’était réveillée en la perdant pour toujours et j’oubliai ses torts, pour ne me rappeler que les premiers temps de notre amour.

Renfermé dans une obscure prison, en proie à de terribles hallucinations, poursuivi par l’image sanglante d’Azélie, mes inexprimables terreurs parurent autant de preuves de ma culpabilité. Conduit au tribunal, soumis à un perfide interrogatoire, je refusai de me défendre ; je perdis le sentiment de la vérité avec celui du témoignage de ma conscience ; je n’eus plus que le désir d’en finir avec la vie, et loin de me justifier, je m’avouai coupable. Ramené dans ma prison, j’y reçus la visite de ma mère, qui, dans son désespoir, me suppliait de ne pas me laisser condamner, ne fût-ce que par amour de la vérité, car avec la clairvoyance de sa tendresse, elle avait deviné que je n’étais point coupable.