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Page:Les Écrits nouveaux, tome VIII, n° 12, décembre 1921.djvu/53

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GABRIÈLA MISTRAL




PRIÈRE[1]


Seigneur, tu sais combien, avec quel cœur brûlant,
Ma prière t’invoque pour les êtres étrangers.
Je viens maintenant te prier pour quelqu’un qui était à moi,
Qui était mon verre d’eau fraîche, le rayon de miel de ma bouche,

La chaux de mes os, la douce raison d’être de mes jours,
Le ramage de mes oreilles, la ceinture de mon vêtement.
Je me soucie de ceux-même qui ne me sont rien :
Ne fais pas ton regard terrible si je te prie pour celui-là !

Je resterai ici, Seigneur, avec le visage prosterné
Dans la poussière, et te parlant pendant un crépuscule entier,
Ou tous les crépuscules que comprendra la vie
Si tu tardes à me dire le mot que j’attends.

Je fatiguerai ton oreille de prières et de murmures,
Léchant, lévrier timide, le bord de ton manteau,
Et ni tes yeux d’amour ne pourront m’échapper,
Si ton pied éviter l’effusion, de mes chaudes larmes.

Je te dis qu’il était bon, je te dis qu’il avait
Le cœur tout entier à fleur de poitrine, qu’il était
Doux de nature, franc comme la lumière du jour,
Plein de miracle comme le printemps.

  1. Avec Juana de Ibarbourou, l’Uruguayenne, Gabriela Mistral, qui est du Chili, est considérée comme la plus grande poétesse contemporaine de l’Amérique latine. Son lyrisme intense et pathétique semble presque uniquement dédié à la mémoire d’un amour tragiquement terminé.