Page:Les Écrits nouveaux, tome VIII, n° 12, décembre 1921.djvu/54

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Tu me répliques, sévère, qu’il est indigne de prière,
Lui qui n’oignit pas d’oraisons ses deux lèvres fébriles,
Et qui s’en fut, ce soir, sans attendre ton signe,
Se déchirant les tempes comme des conques délicates…

Mais moi, ô Seigneur, je te soutiens que j’ai touché
De la même manière que son front parfumé,
Tout son cœur doux et éprouvé,
Il avait le soyeux du bourgeon naissant !

Qu’il fut cruel ? Oublies tu, Seigneur, qu’il les aimait
Et qu’il savait à lui ces entrailles qu’il blessait ?
Qu’il troubla pour toujours l’eau de ma joie ?
Il n’importe ? Tu comprends : je l’aimais, je l’aimais.

Et aimer — tu t’y connais, toi ! — est un exercice amer :
C’est maintenir les paupières mouillées de larmes,
C’est rafraîchir de baisers les tresses du office,
En conservant sous elles les yeux extasiés.

Le fer qui taraude est d’un froid bien doux,
Quand il ouvre, comme des gerbes, les chairs amoureuses,
Et la croix (tu te rappelles, dis, roi des Juifs !)
Se porte avec délices, comme une branche de roses.

Donne ton pardon, donne-le enfin. Dans le vent va se répandre
Le mot, le parfum de cent flacons d’odeurs.
En se vidant, toute cette eau sera un éblouissement,
Le désert se fera fleur et le caillou resplendira.

Les yeux sombres des bêtes fauves seront mouillés
Et, quand elle comprendra, la montagne, que tu as forgée de pierre
Pleurera par les paupières blanches de ses glaciers.
Toute cette terre à toi saura que tu as pardonné.


gabrièlla mistral.
Traduit de l’espagnol par Francis de Miomandre.