Page:Les Œuvres libres, numéro 13, 1922.djvu/173

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déjà. Les habitués du jardin, dès six heures, venaient chercher la fraîcheur sous les ombrages au long des eaux courantes. Les parents s’asseyaient au restaurant, jouaient à la préférence ou au vinte. Les jeunes filles, gymnasistes et autres déjà sorties des écoles, se promenaient par couples dans les allées. Elles portaient toutes des robes de toile blanche très fine et, à cause de la température élevée, elles n’avaient sous leur robe exactement qu’une chemise, ce dont, lorsqu’elles passaient entre le soleil couchant et un observateur intéressé, il était aisé de se convaincre.

Le jeune Alexandre Naudin se crut entré dans le paradis des houris dès son arrivé » en Orient. Assis sur un banc, il savourait la volupté tiède de l’heure, en regardant flâner devant lui ces jeunes filles, riantes ou sérieuses, dont plus d’une lui jetait, comme au vol, un coup d’œil vif au passage. De beaux yeux noirs qui se ferment a moitié, un éclair soudain de dents blanches entre des lèvres qui ne doivent leur rougeur qu’au sang frais de la jeunesse, les tissus légers et presque transparents qui couvraient ces corps juvéniles, il y avait là de quoi, il faut en convenir, faire perdre la raison à un officier de dragons de l’armée française. Alexandre Naudin pensait déjà à ne pas quitter Vladicaucase et a y achever le temps de son congé. Où trouverait-il un plus agréable jardin, des eaux plus fraîches, un décor de montagnes plus pittoresque et des femmes plus séduisantes ?

Mais il faut avouer qu’au sein même de ces délices le jeune lieutenant éprouvait un certain malaise. Ces beautés n’étaient point des femmes, mais des jeunes filles. Or, Alexandre Naudin avait reçu une éducation excellente, dans sa famille bourgeoise d’abord, ensuite à l’école des Postes, et au régiment enfin. Et comme un jeune homme bien élevé, il n’avait jamais eu la curio-