Page:Les Œuvres libres, numéro 13, 1922.djvu/178

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son séjour à Tiflis, il semblait que sa vie n’eût jusqu’alors pas eu de but et que l’arrivée d’Alexandre Naudin vint combler un vide cruellement ressenti. 11 lui demanda aussitôt le nom de son père. Le père d’Alexandre Naudin s’appelait Edouard et, du coup, Alexandre Naudin devint Alexandre Edouardovitch.

Dès le premier soir, l’officier russe emmena son camarade dans un des cercles d’été sur la rive gauche de la Koura. C’était un jardin où l’on soupait en plein air à partir de onze heures. Toute la société de Tiflis s’y. trouvait rassemblée et, à la voir manger de grand appétit, Alexandre Naudin eut la solution d’un petit problème qui s’était posé à lui depuis qu’il était arrivé dans la capitale du Caucase : celui de l’heure des repas pour les habitants de la ville. Il avait vu du monde à déjeuner dans les hôtels ou restaurants où il fréquentait. Mais à quelque heure et où qu’il se présentât pour dîner, il se trouvait seul. Quel était ce mystère ?

Il s’en ouvrit à son nouvel ami.

Celui-ci lui répondit :

— Mon cher Alexandre Edouardovitch, nous déjeunons, en effet, comme vous, entre midi et une heure. Puis vient la sieste, repos sacré pour les Russes et les Caucasiens dans notre été torride. Après la sieste, vers les cinq ou six heures, nous prenons le thé ou chez un pâtissier, ou, de préférence, chez nous. Et la vie de société recommence avec le souper que vous voyez ici. Comment donc vivre de jour, alors que les nuits du Caucase sont, comme vous le voyez, incomparables ? Hommes, femmes, jeunes filles se retrouvent ici le soir et y restent jusqu’à une ou deux heures du matin. On se promène, on cause, on écoute la musique, on mange, on boit et, enfin, on a les joies du loto auxquelles je vais vous initier.