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L'Androgyne

Roman inédit
par
André Couvreur

I


Au moment où, laissant mon cigare, je quittais le fumoir pour obéir aux gestes discrets et impératifs de Rolande qui, depuis un instant, m’ordonnaient de la rejoindre au salon, je sentis, pour la troisième fois de la soirée, peser sur moi l’étrange regard du professeur Tornada. À proprement parler, ce regard m’interrogeait plus qu’il ne me pesait ; mais il me fascinait en même temps ; et je dus me protéger de toute l’attirance contraire de ma maîtresse pour parvenir à m’en dégager et ne point me soumettre une fois de plus aux extraordinaires doctrines dont ce savant m’avait, bien malgré moi, fait l’auditeur au cours du repas. En d’autres circonstances, peut-être eussé-je considéré comme une bonne fortune d’avoir été son voisin de table. Ses découvertes biologiques passionnaient l’opinion ; son habileté opératoire le mettait au premier plan des chirurgiens ; son originalité le distinguait encore ; et bien d’autres, pour occuper ma place à ses côtés, eussent passé sur le malaise qu’inspirait sa laideur, faite d’une face comme pétrie à la diable, à peine ébauchée, toute en méplats sous un crâne entièrement dénudé, d’où, en contraste, s’évadait une barbe absalonienne, réunie en tortillons jusqu’à moitié de sa poitrine.