Page:Les Œuvres libres, numéro 7, 1922.djvu/168

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Mais c’était la première fois que Rolande m’attirait chez elle ; elle m’avait recommandé d’éviter toute manifestation qui pût laisser soupçonner à son mari notre liaison ; et mon esprit avait été occupé à m’interdire la joie d’être son hôte plus qu’à écouter parler le professeur Tornada. Une fois donc franchie la zone d’influence dont je viens de parler — l’œil du savant en étant le point central — je m’approchai de ma maîtresse, au milieu d’un cercle de dames, et j’occupai avec une feinte indifférence le siège qu’elle me désignait.

— Bravo ! mon Jô, me fit-elle entre les dents. Vous avez été admirable. Soyez convaincu que je saurai vous récompenser de vous être si bien tenu.

— Demain ? questionnai-je, sur le même mode discret.

— Demain, approuva-t-elle. Demain, à cinq heures, votre Rolande vous arrivera, fervente, au nid de nos amours.

— Et puis, dans huit jours ?...

— Dans huit jours, je tire ma révérence à ce tyran, et je respire enfin... je respire, mon Jô, par vos lèvres.

Je suivis la direction de ses yeux. Ils eussent foudroyé M. Variland si un regard pouvait porter la mort. Nettement, la rancune s’y lisait contre cet homme au masque glabre et froid, pincé de lorgnon, avec une mâchoire carrée révélant d’égoïstes appétits. Sa silhouette, toute de correction mondaine, modifiait un peu l’impression de la face. C’était un financier. Il avait obtenu Rolande en jetant dans la balance conjugale le poids d’une dizaine de millions, et elle s’était laissé convaincre par soumission à la volonté paternelle. En trois ans de mariage, non seulement il n’était pas parvenu à se faire tolérer, mais encore il avait émietté dans la torture