Page:Les Œuvres libres, numéro 7, 1922.djvu/174

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testent en ménage, s’adorer, s’ils vivaient séparément et avaient à surmonter les empêchements de l’amour.

À cette théorie, chacun hocha différemment la tête, selon son accord ou sa mésentente conjugale, et je devinai, à la mimique de Rolande qu’elle me blâmait de faire ainsi le procès de l’avenir que nous nous préparions. Mais sans doute crut-elle que mes propos étaient destinés à détourner les soupçons de son mari, s’il pouvait en avoir, car bientôt sa moue se convertit en un sourire ambigu. Aussi bien, je pressentis tant d’objections valables à mes fragiles arguments, que, pour ne pas éterniser ce sujet, je m’empressai de conclure :

— En fait, ne serait-ce qu’à ce point de vue, je regrette amèrement de ne pas être une de ces petites reines exquises aux pieds de qui les hommes se prosternent. Et vive le savant ! qui, un jour ou l’autre, convertira mon anatomie pour m’élever sur le pavois de la faiblesse !

Ces dernières paroles étant un hommage ironique au professeur Tornada, je me tournai vers lui pour constater l’impression qu’il en ressentait. Mais je fus tout surpris de le découvrir, enfoui dans une bergère, dormant du bon sommeil d’un homme à qui ces sornettes servent de soporifique. Il émettait même, à travers sa toison, de petites explosions voisines du ronflement ; et, dans le silence qui suivit ma déclaration, ces explosions rappelèrent l’heure aux invités et devinrent le signal du départ. On se leva pour partir, on gagna le vestibule, on se livra à l’empressement des valets de chambre qui aidaient aux manteaux. Je me disposais à suivre le mouvement, navré de m’arracher de si bonne heure à la compagnie de Rolande, quand son mari me désigna le dormeur :

— Et ce transformateur de têtards, qu’est-ce qu’on va bien en faire ?