Page:Les Œuvres libres, numéro 7, 1922.djvu/181

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sés provoque toujours un malaise ; mais, cette fois, l’idée était si saugrenue, qu’au risque de l’exciter plus encore, je ne pus m’empêcher d’éclater de rire.

Mais lui aussi était pris d’hilarité :

— Ah ! vous vous imaginiez que je dormais l’autre soir, chez les Variland, tandis que vous faisiez le joli cœur devant ces dames, en leur déclarant, je cite vos propres termes : « que vous regrettiez amèrement de ne pas être une de ces petites reines exquises aux pieds de qui les ommes se prosternent », et que vous ajoutiez : « Vive le savant qui convertira mon anatomie pour m’élever sur le pavois de la faiblesse !...» Eh bien, non, je ne dormais pas !... j’enregistrais précieusement vos souhaits !... et soyez satisfait comme un vulgaire têtard : vous voilà devenu une petite reine exquise !... vous y êtes, sur le pavois, en plein !

Sous ce flot de paroles, une petite angoisse commençait à m’envahir. Non point que je crusse à ce qui m’apparaissait une divagation ; mais il se pouvait que le chirurgien dément, entre les mains de qui je me trouvais depuis ma séance d’éloquence, se fut livré à un attentat opératoire sur ma personne.

En fait, une sensation de gêne, d’enveloppement, que je ressentais au niveau de mes reins comprimés par un pansement ajoutait encore du crédit à cette hypothèse. Au surplus, sans pouvoir le définir exactement, car cela est du domaine de la psychologie, et cela était tellement imprécis, je recevais un vague avertissement que ma personnalité morale n’était plus la même, qu’il y avait quelque chose de changé dans mon moi, comme si je fusse devenu plus faible en mon caractère, et doué, par contre, d’une sensibilité plus aiguisée.