Page:Les Œuvres libres, numéro 7, 1922.djvu/197

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coup de sonnette, je quittai précipitamment mon lit et allai ouvrir.

C’était elle !... La porte aussitôt refermée, par une obéissance automatique à nos anciennes coutumes de prudence, elle s’arrêta, anhélante, s’appuya au chambranle. Sa silhouette accusait dans la pénombre l’élégance de son tailleur discret, de son chapeau aux larges bords sous quoi une épaisse voilette la rendait méconnaissable. Mon cœur la dévisageait mieux que mes yeux. Ah ! que je me fusse laissé aller à la prendre dans mes bras, à lui balbutier comme jadis : « Enfin ! enfin, c’est toi, ma chérie !... » Mais ma mise négligée, mon kimono, en me signifiant que les choses étaient changées, me ramenait aussitôt, pudiquement, dans ma chambre, et même dans mon lit. Elle me suivit sans que je l’en eusse priée.

— Pardonnez-moi, mademoiselle, de forcer votre porte d’aussi bon matin... Je vous sais arrivée d’hier ; et mes deux lettres précédentes vous étant, je pense, parvenues... oui, je suis madame Variland... madame Variland...

Elle répéta son nom à plusieurs reprises encore, mais en personne qui a perdu le sens de sa phrase, sous le coup d’une autre pensée puissante. Je compris son émotion. Le concierge venait d’ouvrir extérieurement les volets et le grand jour me frappant en plein, ma ressemblance avec moi-même lui devenait tellement évidente, qu’à regarder ce portrait féminin de l’homme qu’elle aimait elle en restait sidérée.

— Oh ! mon Dieu !... Oh ! mon Dieu !... balbutiait-elle, en joignant les mains de surprise et d’admiration.

Mais le souvenir que j’évoquais lui devint tellement douloureux qu’elle ne put retenir son désespoir. Elle sanglota.

— Quoi ! vous pleurez, madame... participai-je, en dépit de la peine que j’avais à me dominer