Page:Les Œuvres spirituelles du Bienheureux Jean de la Croix, 1834, tome 1.djvu/135

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
131
Livre I. Chapitre III.

des créatures ; et de cette façon elle est remplie d’obscurité, et destituée des objets que es passions lui présentaient.

Les exemples qui regardent les puissances de l’homme feront mieux entendre cette matière : en voici quelques-uns des plus propres à l’expliquer : Lorsque l’ame soustrait à sa passion les objets qui peuvent plaire à l’ouïe, elle est, au regard de ce sens, dans la privation des choses qui le touchent ; elle se trouve dans le même état à l’égard des yeux, lorsqu’elle renonce au plaisir des objets qui peuvent les satisfaire. Il faut ainsi juger de l’attouchement, du goût, de l’odorat ; de sorte que quand l’ame mortifie sa passion, en rejetant le contentement que les créatures lui donnent, elle est dans une profonde nuit, c’est-à-dire, dans une entière privation, en ce qui regarde les choses créées. La raison est parce que, selon les philosophes, l’ame est semblable à une toile blanche où l’on n’a peint aucune figure ; de même, suivant le cours ordinaire de la nature, elle n’a rien et n’acquiert aucune connaissance que par l’opération des sens, comme un prisonnier ne voit que par les fenêtres de la prison où on le tient dans les fers. C’est pourquoi quand elle rejette ce que les sens lui présentent, elle n’a ni objet, ni connaissance, et elle est dans l’obscurité et dans la privation de toutes choses, puisque c’est par ces seules ouvertures que la lumière et les créatures peuvent passer jusqu’à elle ; car, quoiqu’il soit certain qu’elle