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Un Rêve[1]

Poème inédit
par
Edmond Rostand

J’étais seul, sur un grand plateau, sous un ciel sombre.
Seul au milieu des morts et des mourants sans nombre
Et des blessés criant : « Je ne veux pas mourir ! »
J’avais là des milliers de gens à secourir.
Je me tordais les mains d’être seul, si débile.
Plus d’un qui remuait devenait immobile.
Je devinais qu’ils étaient là depuis des jours,
Qu’on n’aurait plus longtemps à leur porter secours.
Je montai sur un tertre et, dans les ombres bleues,
Je vis qu’il en mourait ainsi pendant des lieues !
Et je tendais les bras vers eux tous, désolé,
Souffrant affreusement d’être en vain appelé
D’un bout à l’autre bout de ce champ de bataille !

Et j’entendais : « Un peu d’eau fraîche à mon entaille !
— J’ai soif ! viens me passer la gourde de ce mort !
— Prêtez-moi votre main pour un dernier effort !

  1. Ce poème inédit retrouvé dans de très anciens manuscrits constitue une vraie curiosité littéraire. Quelques vers en ont été repris plus tard par Edmond Rostand, dans le cinquième acte de l’Aiglon.