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de flammes illuminait tout à coup l’horizon — si haut qu’on discernait un instant, de l’autre côté du golfe, la chaîne des monts Mégariens, et, vers l’orient, des masses sombres qui étaient des îles : les Diaporées, sans doute, et peut-être Salamine même. On entendait un grand bruit, on distinguait une énorme nuée, dont la cime transpercée d’éclairs s’allait perdre dans le ciel : le volcan sorti de la mer ! Et derrière eux leurs porteurs de litière, de vigoureux Cappadociens, claquaient des dents, tandis qu’une foule qu’ils apercevaient plus nettement, dans l’obscurité un moment amoindrie, exhalait un murmure d’épouvante.

Théoctène, encore qu’il se montrât curieux die tous les phénomènes que peut offrir la nature, n’était pas loin de partager leurs sentiments : cette île, qui, depuis quelques jours, venait de jaillir des flots, environnée de foudres et de feux, dans l’incessant éclat du tonnerre, n’était-ce point un présage qu’envoyaient aux Corinthiens les dieux irrités ? Le temps des désastres n’était-il pas arrivé pour l’Hellénie, et pour tout l’Empire ? Déjà, moins d’un demi-siècle auparavant, des barbares avaient dévasté Corinthe, après avoir pillé la Thessalie, l’Attique même. C’étaient des Hérules et des Bastarnes, appartenant à la race populeuse des Sauromates, parlant un langage qui sonnait comme celui des Germains, bien qu’ils se prétendissent anciennement issus du commerce des Amazones avec des hommes de Scythie. Ces sauvages, petits, trapus, mais la barbe blonde et les yeux clairs, s’étaient précipités nombreux sur la Grèce, montés sur de petits chevaux à longs poils, ou conduisant des chariots dont les roues en bois plein, sans moyeux, résistaient aux pistes les plus mal tracées. Quelques-unes de leurs tribus, au grand étonnement des Hellènes qui, de même que les Asiatiques, gardaient leurs épouses dans des gynécées,