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étaient commandées par des femmes, habiles à tirer l’arc et galopant à cru, telles des hommes. Mais ils emmenaient également dans leurs migrations des êtres étranges, dont la voix était toute féminine, les membres ronds et gracieux : espèce de gitons sans sexe, qu’ils se procuraient en attachant des jeunes enfants mâles, de longues heures, durant de longues années, sur des chevaux sans selle dont l’échine, peu à peu, leur flétrissait les génitoires. Cinquante ans plus tard cette sorte d’eunuques dépravés était encore de mode à Corinthe : à cette cité, la plus voluptueuse de la Grèce, ils avaient inculqué de nouveaux vices. Possidius, homme riche, bien que connu pour son avarice, Romain de race patricienne, ayant du goût pour eux en comptait plusieurs parmi ses mignons.

Et puis un jour ils étaient partis, sans qu’on pût savoir pourquoi : mais on avait fait hommage de leur retraite aux victoires que Marc-Aurèle, empereur, divin, auguste, avait remportées dans leur propre pays, au pied des monts que nous appelons aujourd’hui les Karpathes. On avait célébré ces victoires. En grande pompe les flamines municipaux avaient procédé à la purification des temples ; il y avait eu, en leur présence, des prostitutions rituelles devant l’image d’Aphrodite, au sommet de l’Acro-Corinthe. Un de ces flamines, pourtant, s’était abstenu de paraître à ces cérémonies solennelles ; et l’on murmurait que celui-ci, ayant abjuré les dieux, avait payé fort cher le gouverneur Pérégrinus pour qu’il fermât les yeux sur son abstention. Mais Théoctène n’ignorait point que les succès impériaux n’avaient eu que peu de durée. Aurélien, pour conserver le reste de l’Empire, avait dû, quelques années auparavant, reculer la frontière jusque derrière le Rhin, jusqu’en deçà le Danube, livrant à des peuples sans nom une par-