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geaient : « Que se passe-t-il donc, que Poséidon-Hippios lui-même ne puisse défendre ses chevaux contre les fureurs d’Héphaïstos ? Sans doute c’est qu’il ne le veut point : les dieux se détournent de l’Hellénie. Ou bien serait-il vrai qu’ils ne sont plus maîtres du monde : il en est qui le disent !… » Jusqu’à Théoctène sentait une angoisse l’opprimer.

— Que t’importe ? interrogea Myrrhine, toujours insoucieuse. Ces dieux-là sont-ils encore les tiens ? Les purifications qu’impose Isis, ne les as-tu pas faites avec moi ; la Mère-Vierge ne saurait-elle nous protéger ?

Théoctène n’en était pas sûr. Il croyait, avec les Néo-Platoniciens dont il avait adopté la doctrine, que de l’essence du Dieu unique, inconnaissable, est sortie toute une famille d’Éons qui sont les dieux de l’Olympe, et dont chacun préside à une tâche spéciale, possède, dans un domaine séparé, un pouvoir particulier. Mithra et Isis savent assurer, au « double » spirituel de ceux qui accomplissent les rites de leurs cultes, une existence heureuse, de même que se baigner dans certaines eaux préserve des maladies. Leur puissance s’arrête là ; elle se borne aux âmes, à qui elle garantit le salut par la purification des corps. Mais sans doute ils ne régissent point l’univers physique ; et, sachant assurer l’immortalité, ne peuvent rien contre la mort, ni les catastrophes. D’ailleurs, intérieurement, Théoctène redoutait : « Ils ne sont point Hellènes : de quel peu de souci leur est sans doute l’Hellénie et l’Empire ? » Pourtant il se garda de communiquer ses inquiétudes à Myrrhine. Peut-être se dissimulait-il à lui-même qu’en la persuadant que la Mère-Vierge était la plus grande déesse, il l’avait surtout voulu détourner du culte de l’Aphrodite asiatique, tel que, depuis plus de deux mille ans, on le pratiquait en ces