Page:Les œuvres libres - volume 1, 1921.djvu/113

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lieux, et des prostitutions religieuses auxquelles sa maîtresse, jadis hétaïre esclave et consacrée au temple de l’Acro-Corinthe, aurait dû s’abandonner. Se souvenant du passé, sentant combien il avait changé dans le fond de son cœur, il s’émerveilla.

Voilà six mois qu’il avait rencontré Myrrhine, environ vers l’heure de sixte, un peu devant que les lumières allassent commencer de briller dans les demeures. C’était une toute jeune fille, qui portait au front le bijou des prostituées consacrées à la Déesse, presque nue sous un chiton léger, car les chaleurs, cette année, étaient devenues cuisantes dès les ides de mars. Par le grand escalier qui part des bains d’Aphrodite, elle descendait vers le port du Léchéon, les grands magasins de pierre et les quais que Jules César, quatre cents ans auparavant, quand il reconstruisit la ville détruite par Mummius, éleva sur le golfe de Corinthe : là même où l’apôtre Paul avait travaillé, de son métier de dresseur d’auvents en toile pour les boutiques. Elle sortait du bain, toute rafraîchie par l’eau : une rose qu’on vient de mouiller. Ses petits seins, si jeunes, ne tenaient pas plus de place, sous l’étoffe de lin, que deux nids de roitelets ; et visiblement elle ne songeait pas encore à la chasse aux clients, car elle tenait un filet dans la main gauche, s’arrêtant aux boutiques des verdurières. Il lui dit :

— Le salut sur toi, petite fille !

— Le salut sur toi, seigneur.

— Comment t’appelles-tu ?

— À quoi cela te pourrait-il servir de le savoir ? En as-tu bien besoin ?

— As-tu quelqu’un ? demanda brusquement Théoctène.