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administration tutélaires aux personnes de sa classe — une secte de mauvaise compagnie, antisociale. Des personnes de son monde passaient pour avoir des connivences avec elle ; il aurait eu bien souvent l’occasion de les interroger. Il s’en était abstenu parce qu’elles étaient ennuyeuses, et qu’on doit éviter de parler aux gens de celles de leurs faiblesses qui ne sont pas distinguées.

Comme ils allaient franchir la porte de Cenchrées, voici qu’une voix de femme dans l’ombre prit ses ailes : une mélodie singulière, heurtée, pathétique, et qui semblait l’âme tendre et troublée de la nuit.

— C’est toi, Ordula ? interrogea Myrrhine.

N’aimant pas ce qui est triste, elle n’avait parlé que pour interrompre ce chant. Elle avait du goût pour la musique heureuse qui n’est qu’un appel à la danse, les chansons marines de la Méditerranée, obscènes et gaies, les hymnes hellènes ou latins, qui semblent le développement d’un discours généreux prononcé par un orateur dont on croirait apercevoir les gestes. Mais ces modulations étrangères lui paraissaient porter avec elles quelque chose de hors nature et de choquant. Sans les comprendre, elle s’en trouvait comme offensée.

— Pourquoi l’as-tu fait taire ? reprocha Théoctène.

Moins simple que sa petite amie, il était plus sensible à ces accents extraordinaires. Son esprit cultivé se fatiguait vite de ce qu’il croyait déjà connaître. Pour parvenir jusqu’à son cœur, il fallait que l’émotion, chaque jour, prit un nouveau chemin.

Une femme sortit du fossé profond qui s’abî-