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mait devant les murailles. Elle porta la main à sa poitrine, à son front, la tendit pour une aumône.

— C’est toi, Myrrhine ?… Je chantais pour le distraire. Il a faim. Ses ulcères le font souffrir, et il ne dort pas…

— Rhétikos ? C’est toujours lui ?

La femme semblait plus vieille que son âge, avec des chairs flaccides sous des haillons de toile bleue qui eussent pu aussi bien convenir à un homme. Il n’y avait plus de jeune en elle que sa voix, cette voix infiniment souple et brûlante qui pouvait descendre des notes les plus claires de la flûte à des gémissements moins obscurs à peine que les cris du vent dans un grand bois. On la disait née plus loin encore que le pays des Sauromates, quelque part sur la terre immense et plate où les chevaux des Scythes, en hiver, creusent la neige de leurs sabots pour retrouver l’herbe. S’offrant, aux abords de la ville, aux esclaves des pressoirs, aux condamnés astreints par les autorités municipales à des travaux stercoraires, qui la payaient de quelques monnaies de cuivre, elle vendait aussi des charmes, avait pour clientes certaines dames de Corinthe, opulentes, et des courtisanes bien rentées qui la tenaient pour plus experte en nécromancie que les Thessaliennes ; et, ne gardant presque rien pour elle, Ordula nourrissait un ancien esclave barbare, boiteux et pourri : ce Rhétikos que son maître Possidius, l’avare, avait eu la cruauté d’affranchir pour s’en débarrasser.

— Sais-tu qu’on va poursuivre les chrétiens ?

Myrrhine était toute fière, à son tour, de répandre cette Les chrétiens ? Vois, je crache sur eux ! Ils disent que les morts ne sortent pas des lieux où ils les font garder par leur Christ, ou par Lucifer ! Et les gens vont à eux parce qu’ils ont peur,