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laine. Parfois, l’après-midi, quand j’étais couchée près d’un client, un rayon de soleil tombait sur ce lit, par l’unique ouverture du toit, tout droit, brillant comme une barre de verre. Je faisais exprès de le regarder si fort que je me prenais à loucher, et le client croyait que mes yeux tournaient de plaisir !

Elle rit.

— Et c’était tout. Plus rien. Rien que le vieux qui dormait dans la cour, contre la muraille, dans une ombre à peine plus large que son corps : un fou très saint, à qui les femmes donnent à manger pour que ses paroles portent chance ; une odeur d’huile d’olive cuite, partout, celle aussi de l’encens qu’il convient de brûler devant l’image d’Aphrodite, avant l’amour ; les gargoulettes pleines d’eau pour les ablutions ; des tasses de cuivre sur une petite table basse ; mon tambourin de terre cuite ; le grand coffre où je mettais mes affaires, et ma poupée !… Je l’ai encore ma poupée, je te la montrerai. Et j’ai gardé le coffre, aussi, à cause des belles fleurs peintes sur le couvercle. Cela fait rire Théoctène.

— Tu as gardé le coffre ?

— Oui, à cause des fleurs, je te dis. Tu te le rappelles ? Veux-tu le voir ? Tu verras aussi notre belle chambre… Viens !

C’était une chambre fraîche, dallée de marbre, avec une seule fenêtre qu’un treillis de bois très fin défendait contre le soleil. Le lit couvert de peaux de chèvres de Numidie était taillé dans quatre blocs de marbre. Du côté des coussins destinés à recevoir la tête des amants, sur la frise du chevet, un faune possédait une femme qui lui tendait sa croupe ; au plafond, une triple lampe de cuivre, dont les réservoirs effilés en pointe pour la mèche semblaient soutenus, comme gardés, par des phallus à tête de chien.