Page:Les œuvres libres - volume 1, 1921.djvu/149

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ciel. » Mais Eurynome répondait : « Plus tard ! plus tard ! Ce n’est pas une mauvaise idée, mais pas maintenant ! Un enfant, une fille, dans ta profession, sera une bonne chose quand les hommes commenceront de te désirer pour ton expérience plus que pour ta jeunesse. Attends ! Attends, dix années au moins encore : à cette heure tu n’es toi-même qu’une petite fille ! »… Maintenant, je ne suis plus une petite fille puisque j’ai toutes les nuits et tous les jours le même amant, comme une dame. Je ne regarde presque plus la poupée : c’est la vénérable Isis, la Mère-Vierge, que j’habille. Tu as vu ?… Allons, parle ! Aurai-je ce que je voudrais tant posséder ?

— Il me semble… mais il y a tant de choses auparavant !… Méfie-toi d’une place publique, où je vois un temple et un homme assis qui domine la foule. Il est l’ennemi de ton désir.

— Que peut-on contre ce destin ?… Tu secoues la tête ?… J’ai peur, maintenant… Ce n’est pas ta faute ; tu dis ce qui est, n’est-ce pas ?… Je te rends grâce, Ordula. Prends ceci et passe aux cuisines. Tu emporteras des choses pour ton Rhétikos.

Le poète Céphisodore était un petit homme de pure race hellene, et assez replet, bien qu’il fut pauvre. Il arriva le dernier, ce soir-là, chez Théoctène, tout en sueur ; et, repoussant les poissons à la saumure, les petits dés de fromage de chèvres, les olives salées qu’on lui présentait — n’ayant, dit-il, nul besoin de toutes ces choses pour avoir soif — il engloutit d’une lampée le vin cuit de l’île de Chios que Myrrhine lui présentait mêlé de nard, de lentisque et d’absinthe, passé au travers d’un linge plein rempli de neige