Page:Les œuvres libres - volume 1, 1921.djvu/154

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La vie terrestre est une maladie (une maladie, la vie terrestre ? Ô Zeus, Aphrodite, Apollon, vous tous grands dieux, une maladie ! Je frémis de répéter ce blasphème !) et ses tares nous peuvent poursuivre durant notre immortalité. Comment arriver guéri sur l’autre bord ? » Alors ils ont inventé des recettes, des rites de purification, avec de la musique, des chants, des cortèges somptueux, des appels incessants aux éléments inférieurs de l’être, et le mépris de ce que nous avions découvert et mis à la place qui lui revient, nous, les Hellènes : la divine et paisible intelligence !… C’est pour cela que tu es un traître, ô Théoctène, notre hôte de ce soir, toi qui es allé chercher la cure de ton âme prétendue dans la fosse où coula sur toi le sang du taureau de Mithra, toi qui t’es barbouillé de ce sang comme un nègre éthiopien de minium ! Un traître aussi pour avoir détourné Myrrhine d’Aphrodite, et l’avoir — puisque Mithra est un dieu mâle qui dédaigne les femmes — livrée au culte d’Isis. Tu n’es pas allé plus loin. Occupé avant tout de tes plaisirs, dans une voluptueuse insouciance, tu as ignoré les chrétiens : ce sont eux qui sont dans le vrai. Car n’est-il pas absurde — et cela ne serait-il point même plaisant ? — de vouloir purifier l’âme, principe immatériel, par des rites qui n’atteignent que le corps ? Vous prêtez à rire ! Aujourd’hui, à Corinthe, il n’est pas un esclave, pas un imbécile qui ne le sente : les chrétiens sont plus logiques. C’est l’âme, cette âme hypothétique, imaginaire, qu’ils prétendent directement soigner, guérir, en s’adressant à elle, en lui imposant des devoirs, des restrictions, des pénitences. Avec toutes vos cérémonies, vous n’êtes que propres. Eux sont purs, ou veulent l’être.

— Mais alors ?… interrompit Cléophon, comme touché singulièrement.