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— Mon Dieu, mylord, la chose peut se faire… et nous serons certainement sous l’île avant l’heure que vous dites… Mais, si Votre Seigneurie m’autorise… à mon goût, manger chaud vaut mieux que manger froid ; et du moment que personne à bord n’a le mal de mer, pas même les dames ?…

— J’entends bien manger chaud, à terre comme à bord, — prononça Sa Seigneurie, sèchement. — Cela donc ne fait pas matière. Gouvernez sur Graciosa. Une promenade ne sera pas désagréable. Pour le cuisinier, prévenez-le, et dites-lui mon plaisir : on servira comme d’habitude… je dis comme d’habitude, exactement !… mais à terre. Et je n’admettrai aucune excuse. Au revoir, capitaine.

O’Kennedy salua, tandis que lord Nettlewood s’en retournait vers le panneau de descente. Le capitaine, osant alors inspecter d’un coup d’œil le dos de Sa Seigneurie, constata qu’elle était montée sur le pont tout au saut du lit, et seulement vêtue d’un pyjama de tussor, avec, aux pieds, des sandales de paille japonaise.

L’île au Grand Pic et au Grand Puits, — Graciosa, — apparaissait maintenant tant bien que mal. Le capitaine O’Kennedy, pour tout dire, ne la voyait pas, ses yeux n’étant pas des meilleurs. Mais le gabier Kerrec la voyait. Et appelé à la rescousse, il la désigna d’un index affirmatif. C’était à quelque quatre quarts par bâbord devant. Et le vent soufflait de tribord : une petite brise de quatre mètres, qui gonflait joliment la haute voilure du yacht. La Feuille de Rose était gréée en trois-mâts pieu, et portait pour l’heure à peu près toute sa toile, sauf les flèches et le clin foc. Le capitaine O’Kennedy « arriva » donc de quatre quarts, et fit choquer ses écoutes. Sur quoi la Feuille de Rose allongea l’allure,