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un désir, non point d’indépendance, mais de fronde, souhaitaient des administrateurs qui fussent de leur race, et non plus Romains : l’Orient de la Méditerranée déjà tendait à se séparer de l’Occident.

Ainsi de part et d’autre, on accueillait les arrêts de Pérégrinus par des murmures ou des dérisions. Assez intelligent pour le prévoir, il n’avait pas eu l’esprit assez vigoureux pour soutenir sa première attitude. Il dérivait, ballotté par des courants contraires. De tous côtés on lui lançait des brocards. Il était décontenancé. Son irritation s’en accroissait, et sa rancune.

Cléophon s’était jeté au premier rang de ces railleurs. La délicatesse de ses nerfs efféminés répugnait à la vue et à l’odeur du sang, et toutefois ce sang, ce tumulte, la brutalité des chocs que lui faisaient subir les alternatives des débats, le précipitaient dans une sorte d’exaltation singulière. Jamais il n’avait ressenti des impressions si fortes. Il était comme fouetté de lanières invisibles qui lui rendaient la virilité. Myrrhine et Eutychia se tenaient toujours debout devant le tribunal. Seules femmes maintenant parmi les prévenus, d’un mouvement instinctif elles s’étaient serrées l’une contre l’autre, et parfois échangeaient quelques mots. Pour Eutychia, Myrrhine était une chrétienne ; cela lui suffisait. Et Myrrhine, la voyant si ferme, se rapprochait d’elle avec une confiance puérile. Le père d’Eutychia, Eudème, accompagnait sa fille. Païen, il comptait bien affirmer ses sentiments, jurer qu’on s’était trompé sur ceux de son enfant, et consentait à payer, pour la légèreté dont elle s’était rendue coupable — car il ne pouvait s’agir que d’une légèreté — la plus grosse amende, sans discuter.

Quand il entendit appeler Eutychia, il voulut parler, et s’avança pour elle.