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Les interrogatoires se poursuivirent dans une atmosphère de violence que les inspirateurs et les dirigeants des chrétiens ne cherchaient point à calmer. Ils poussaient en avant les exaltés, ils encourageaient les hésitants, leur faisaient honte de leur lâcheté. C’est qu’ils n’ignoraient point où bientôt ils allaient acculer l’Empire. Si la machine ne pouvait marcher sans eux, il faudrait qu’elle marchât avec eux : telle était déjà l’impression, à la cour des Tétrarques, des politiques les plus avisés, secrètement favorables aux chrétiens, et qui n’attendaient qu’une occasion pour se déclarer. C’était la dernière bataille : il fallait tenir, il fallait s’affirmer, quitte à perdre des soldats, et à mourir soi-même. Ces hommes étaient braves, enthousiastes, ils réclamaient pour eux cette couronne du martyre qu’ils promettaient aux fidèles. D’autre part, les plus distingués parmi ceux des Corinthiens qui s’étaient décidés à se rendre à l’audience — surtout Théoctène et ses amis, pour des motifs personnels — s’inquiétaient et s’indignaient d’une répression maintenant excessive, déploraient le manque de sang-froid de Pérégrinus, et ne se cachaient point pour l’en blâmer.

Les hautes classes, à cette époque, étaient parvenues à un degré de mépris singulier à l’égard des fonctionnaires. En concentrant toute puissance sur leur personne, les derniers empereurs, qui déjà inauguraient le système de leurs successeurs byzantins, venaient d’affaiblir dangereusement le respect qu’on portait à leurs délégués. Un gouverneur tel que Pérégrinus avait en apparence tous les pouvoirs des anciens proconsuls : la réalité était fort différente. Et dans la décadence de l’Empire, qui avait à cette heure bien de la peine à se défendre après être si longtemps apparu comme un perpétuel conquérant, les provinces de langue non latine éprouvaient