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ser. Velléius Victor qui, demeuré sur les degrés de l’Héroon, dirigeait cette répression, aperçut fort bien le glaive qu’un Germain descendait sur la gorge de Théoctène abattu : le crime de ce jeune homme était certain, et le notarius n’éprouvait du reste à son égard aucune sympathie. Il le laissa, sur cette place, achever son destin. Myrrhine n’avait pas vu mourir son amant : dès que l’audience avait été suspendue, avec Eutychia et ceux des chrétiens qui n’avaient point cherché à fuir, elle avait été reconduite à la prison.

L’exposition d’Eutychia au lupanar ne devait pas avoir lieu avant l’heure de none. Cléophon, chassé le matin de l’Agora, avait couru la ville au hasard, ulcéré de l’injure qu’il avait reçue, toujours persuadé que lui seul avait raison dans cette affaire, et que décidément le monde est mené par de purs idiots, acharnés à se mêler de ce qui ne les regarde pas. Le jour était assez avancé lorsqu’il sentit la faim. Il entra dans une taverne du port, mal famée, que parfois il fréquentait : il se souvenait d’y avoir rencontré des matelots de l’archipel, des lutteurs Khazars, à la face aplatie mais aux larges épaules, dont il estimait la vigueur ; des soldats et des centurions, qu’il admirait pour leur mâle beauté, leurs cuirasses aux écailles de bronze, et l’odeur, pour lui délicieuse, de leurs jambières en cuir de poulain, tanné en Scythie avec un mélange de fiente de cheval et de cendres de térébinthe. Mais la place était encore presque vide. Par exception à ses habitudes de sobriété, il demanda du vin ; on lui servit des œufs durs, du congre coupé en morceaux dans une sauce au safran, des olives.