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avait aimé. Cette femme, désespérée, se tua en se précipitant du haut des bâtiments du Téménos.

Ce qui contribuait à inspirer à tous ces gens la volonté de rester unis, c’était l’espoir qu’approchait l’heure définitive du triomphe. Tous en demeuraient convaincus. Cette persécution était le dernier effort des païens, leur suprême sursaut ; et, s’il restait inefficace, la victoire appartiendrait aux chrétiens. Onésime alors détournait adroitement leurs débats sur ce qu’ils feraient, après cette victoire, contre les vaincus. « Nous détruirons les temples, tous les temples », disaient les uns : « Il y faudra un peu de prudence, répondaient d’autres, plus politiques. Il conviendrait pour commencer de s’attaquer seulement, à quelques-uns, pour des motifs de moralité : ceux, par exemple, où s’accomplissent les prostitutions sacrées : Aphaca, dans le Liban, les sanctuaires impurs de Cilicie, Héliopolis, en Syrie ; et ici, à Corinthe, le temple d’Aphrodite. »

— Mais il faut aussi détruire Delphes. Trop de gens encore vont consulter l’oracle. Cela est dangereux. Et tous ces souvenirs de la religion hellénique, ces statues de marbre et d’ivoire : elles sont trop belles ! Tant qu’elles existeront, on y restera trop attaché, on ne pourra les oublier. Il faut empêcher qu’on leur apporte des offrandes et qu’on leur sacrifie : le seul moyen est de les briser.

Cela paraissait criminel à Cléophon. S’il ne croyait pas aux dieux, il aimait l’image qu’en avait su former le génie des Hellènes. Il protesta, bien qu’avec la modération d’un homme de bonne compagnie.

— Beaucoup de gens, fit-il observer, sont comme moi. Ils tiennent à ces effigies pour leur beauté, non pour leur signification religieuse. Vous les allez indigner ; ils vous prendront pour des barbares. Votre cause n’y gagnera rien.