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même après trois semaines. Pour tout dire, la mer est un merveilleux refuge pour quiconque a connu sur terre des heures trop pleines d’ardeurs et trop lourdes de soucis. Or, les hôtes de lord Nettlewood avaient eu, tant de ceux-là que de celles-ci, plus que leur compte, avant de se réfugier, pour y trouver paix et repos, à bord de la Feuille de Rose.

Car, sans même parler de Mmes Francheville, Ashton, de Trêves, voire d’Aiguillon, desquelles il sied de parler avec discrétion… comme de toutes femmes : secrets féminins ne peuvent être que secrets d’amour ; et secrets d’amour se dévoilent d’eux-mêmes ; à quoi bon, par conséquent, les dévoiler ? Ce serait pis qu’abominable : naïf !… Sans donc parler des dames que j’ai dites, la Feuille de Rose abritait dans ses logis, délicatement confortables, force gens à qui repos et paix n’étaient point superflus…

N’y avait-il pas en effet, d’abord et surtout, lord Nettlewood lui-même, qui, propriétaire de quinze ou vingt journaux anglais et propriétaire aussi de quinze ou vingt domaines d’Irlande, voyait la crise politique du moment compromettre le plus dangereusement du monde la vente de ses papiers et le rendement de ses terres, c’est-à-dire ses revenus les plus opulents ? Et n’y avait-il pas aussi l’honorable Reginald Ashton, dont toute la fortune était placée selon les directives de lord Nettlewood, afin qu’elle rendît du 15 0/0 et non du 5 ? N’y avait-il pas, enfin, le comte français, Henry de la Cadière, dont les ambitions politiques étaient notoires, et qui, depuis son ralliement éclatant à la République, était en butte aux attaques dépitées de tout son ancien parti, le monarchiste, et aux défiances sournoises de son parti nouveau, le radical ? N’y avait-il même pas le pauvre comte de Trêves, que sa femme, Arménienne d’origine,