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avait persuadé jadis de s’inscrire à la Ligue des Droits de l’Homme et du Citoyen Arménien, et qui s’apercevait peu à peu, quoique n’ayant que de faibles lueurs sur la vérité des choses orientales, de l’iniquité d’une cause qu’il s’était bien légèrement obligé à défendre ? Tout cela, sans préjuger du cas de Juan Bazan, peintre espagnol, et de Carlo Alghero, prince gênois, lesquels s’efforçaient aux yeux du monde d’avoir l’air, celui-ci, d’admettre contre les préjugés ancrés de toute sa race « noire » la déchéance irrémédiable des papes souverains de Rome, et celui-là, de reconnaître contre la foi carliste de tous ses ancêtres, la légitimité absolue de don Alfonso, treizième du nom, roi des Castilles, de Léon, de Navarre et d’Aragon ? À tous ces gens qui s’en allaient ordinairement par des routes que n’approuvaient ni leurs vrais intérêts, ni leurs scrupules de conscience, la mer était un favorable prétexte à oubli. Et c’était la plus amusante réduction du monde, tel que l’a recréé le mensonge social, que cette Feuille de Rose, habitat d’une sélection de gens que leurs goûts, leurs affinités et leurs instincts avaient groupés, pour une saison, hors ce mensonge social qui était leur vie courante, voire leur raison de vivre…

Hors ce mensonge ?… Au fait… non !

Le mensonge social avait embarqué, lui aussi, à bord de la Feuille de Rose ! et, cela, dès la première heure. En vérité, comment n’en eût-il pas été ainsi ? Dans ce décor infiniment luxueux, le plus luxueux des décors, — un yacht de milliardaire ! — comment des hommes eussent-ils oublié que l’armature du monde social est une armature d’argent, et que nos servitudes réciproques ont mis à la bouche de l’humanité un mors qui étincelle, mais qui, tout de même, est le plus brutal, et le plus rudoyant ?