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C’est ainsi qu’elle écoutait les propos d’Aristodème sans en discerner l’objet ; il continuait à n’être pour elle qu’un homme à qui elle pouvait parler de la seule chose au monde qui l’intéressât.

— Tu couches donc seule toutes les nuits, fit-il un jour brusquement, perdant patience.

— L’autre soir, répondit-elle ingénuement, une femme est venue se glisser à mes côtés, comme je m’étendais sous les arcades. Mais ce n’était point pour ce que tu aurais cru, et que je croyais. Elle m’a dit : « Les Olympiens se figurent que nous adorons un âne. Ils sont bêtes ; comment pourrait-on adorer un âne ? Quelle raison… Mais il est légitime et profitable de rendre un culte à l’Abeille. Fais comme moi, adore l’Abeille, cette petite Abeille d’or que voici ; je la porte toujours sur moi : l’Abeille, qui enfante sans avoir été fécondée, vierge et mère comme la mère du Christ, archétype de la mère du Christ. Lève-toi, et nous le prierons ensemble »… Ce sont de drôles de gens ! Et il y a encore ici des femmes qui se prétendent évêques et prêtresses consacrées par les successeurs d’un grand saint qu’elles appellent Montanus. Elles disent que ce sont elles qui doivent diriger l’Église et en célébrer les mystères, étant seules capables d’inspirer aux hommes des sentiments violents, par conséquent d’exercer sur eux un empire salutaire… Me vois-tu évêque ?…

Ces bizarreries étaient la seule chose qui la pussent divertir de sa peine. Quelques secondes elle s’en amusait comme une enfant, puis retombait dans une angoisse accrue. Il lui paraissait de mauvais augure que Théoctène, du lieu où on lui avait affirmé qu’il se cachait, n’eut pu lui